Fève étasunienne dans le gâteau des rois du monde
Trump retrouve son trône
Dans le calendrier grégorien, le 6 janvier, c'est
le jour des rois. Dans le calendrier julien, c'est le nouvel-an
(et fut le jour du couronnement de Philippe le Bel). Dans le
calendrier politique mondial, c'est le jour de Trump, celui où
le Congrès constate qu'il a été élu (il prêtera serment le 20
janvier). Quatre ans après en avoir été chassé par une élection
perdue (qu'il n'a jamais admis avoir perdue), il va retrouver
son trône présidentiel par une élection gagnée (que son
adversaire a reconnu avoir perdue). Le 6 janvier, c'est donc le
jour de la fève américaine dans le gâteau des rois du monde.
Elle commence bien, l'année. "Nous lancerons la plus grande opération de déportation
de l'histoire des Etats-Unis", a promis Donald Trump, à propos
de l'immigration illégale... "on aurait dû y penser quand il
était encore temps", ont dû se dire les Amérindiens...Pour le reste, Trump a dit à peu près n'importe quoi,
nommé n'importe qui et surtout beaucoup promis. Et est capable
de tout. Les Américains l'ont voulu, ils l'ont. Tant pis pour
eux. Et tant pis pour les autres, aussi ?
Trump "parle fort mais n'a qu'un petit bâton"...
La fin de mandat de Joe Biden fut funèbre. Même à la cérémonie de réouverture de Notre-Dame de Paris, c'était Trump que Macron avait invité, et c'est Trump qui a rencontré le président Ukrainien Zelensky. Ne prenant nulle part aux débats qui agitent le parti démocrate sur les causes de l'échec de Kamala Harris, Biden remâchait sa rancune contre ceux qui l'ont poussé à se retirer de la course présidentielle après son débat calamiteux face à Trump, en juin. Et la seule de ses décisions qui ait fait les gros titre est celle de grâcier son propre fils. Il restera toutefois le seul à avoir battu Trump dans les urnes, en 2020. Quatre ans plus tard, cette victoire est effacée, et Trump est de retour (il n'était d'ailleurs jamais parti que de la Maison Blanche)-
Irresponsable, infantile, égocentrique et inculte,
Trump n'est pas pour autant un imbécile. Il est même assez
malin, du moins quand il s'agit de ses propres intérêts. Mais sa
réinstallation sur le trône étasunien n'aura pas pour seules
conséquences les avantages qu'il peut en tirer pour lui : bien
plus nombreux seront ceux qui en feront les frais. Comme les
Européens, condamnés à lui faire la cour en lui promettant une
soumission accrue face à la Chine ou à s'émanciper de la tutelle
américaine, ce que seuls les Français vont mine de vouloir. En
Europe, les Orban ou Meloni sont ravis du retour de Trump. Et en Suisse, les pontes de l'UDC (le Conseiller
fédéral Rösti, la Conseillère nationale Magdalena
Martullo-Blocher) aussi, pendant qu'au PLR, on rêve d'un
rapprochement avec l'OTAN, et donc avec les USA. Et donc avec
Trump.
Trump hérite de Biden une économie solide (qu'il
qualifie cependant de "désastreuse", parce qu'il n'y est pour
rien), mais menacée par les désordres du monde : l'invasion de
l'Ukraine par la Russie de Poutine, un conflit
israélo-palestinien qui atteint un paroxysme dans la tragédie,
une Chine de plus en plus agressive pour ses voisins. Cette
économie américaine, Trump ne peut la protéger des crises
mondiales -il entend seulement la protéger de la concurrence
internationale, en promettant des droits de douane hyperboliques
(de 60 % sur les produits chinois, 25 % pour les mexicains et
les canadiens, 10 ou 20 % pour tous les autres, et même 100 %
pour ceux qui voudraient se passer d'utiliser le dollar, ce
cheval de Troie juridique des USA (qui en use devient objet du
droit étasunien même s'il ne met jamais les pieds aux
Etats-Unis). Pour Trump, les "tariffs" (les droits de douane)
sont le plus beau mot du dictionnaire et la réponse à tous les
maux, mais ils sont surtout la cause d'un redépart de
l'inflation aux Etats-Unis (alors que sa montée sous Biden a
favorisé Trump.
L'historien Jon Meacham, qui vote généralement
pour les Républicains, prévient : "un deuxième mandat de Trump
est une invitation ouverte au chaos" (on lui sait gré de ne pas
avoir évoqué une porte ouverte à l'anarchie, qui n'a rien à voir
avec le chaos puisqu'elle est un mode d'en sortir). Et ce ne
sont pas les nominations annoncées au gouvernement qui vont
rassurer ceux qui craignent le pire, comme le résume le New-York
Times : la formation du gouvernement par Trump, c'est "Caligula
tentant de nommer son cheval consul". Qui est le cheval (ou
plutôt qui sont les chevaux) ? Matt Gaetz, proposé comme
ministre de la Justice parce qu'il avait été l'avocat de Trump
dans quatre procès, a lui-même été poursuivi pour avoir couché
avec une mineure et avoir consommé de la drogue. Ou Peter
Hegseth, proposé pour le ministère de la Défense (le Pentagone),
lui aussi sous le coup d'une affaire sexuelle. Ou Robert
F.Kennedy junior, proposé pour le Département de la Santé (dont
dépendent une dizaine d'agences fédérales), antivax,
conspirationniste, persuadé qu'un ver lui mangeait le cerveau.
Bon appétit. Ou Tulsi Gabbard, proposée comme directrice du
renseignement et de ses 18 agences d'espionnage : elle avait
pris fait et cause pour Poutine après l'invasion de l'Ukraine.
On ajoutera à cette liste la nomination de Scott Bessent au
Tresor, c'est-à-dire aux Finances : milliardaire, fondateur d'un
"hedge fund" (fonds d'investissement pourri), spéculateur sur le
yen, la dette italienne et la livre britannique, il avait tout
pour plaire à Trump (sauf qu'il était proche de George Soros que
Trump déteste), et à Musk (qui mène sur X une campagne contre
les travaillistes britanniques)... Et on n'aurait garde
d'oublier le futur nouvel ambassadeur des USA (ou de Trump) en
France : Charles Kushner, beau-père de la fille de Trump,
condamné pour évasion fiscale, contributions politiques
illégales et subornation de témoin (il avait embauché une
prostituée pour séduire son beau frère et filmer leurs ébats
avant d'envoyer la vidéo à sa sœur...).
Trump a promis de bouleverser tous les champs de coopération internationale : les Nations Unies, leurs grandes agences (à commencer par l'OMS), l'OMC, les accords de Paris sur le climat -et on en passe, sans oublier l'OTAN. Et ceux qui ont le plus à cette promesse de mouvement brownien, ce sont, aujourd'hui (d'autres suivront) les Ukrainiens : Trump promet de "régler le conflit (ukrainien) en 24 heures" avec Poutine (un criminel de guerre qui n'y a aucun intérêt, pas plus que Netanyahou n'a intérêt à régler celui de Gaza, revendique le Canada comme "51e Etat" des USA et nomme le Premier ministre canadien son "gouverneur", revendique le Groenland et Panama, veut remettre en question le pacte de défense de l'OTAN (mais pas les ventes d'armes américaines à ses signataires)...
Le Prix Nobel d'Economie 2024, Simon Johnson, assure (dans "Le Monde" de ce week-end) que "le décalage entre discours et réalité devrait être criant" sous le mandat de Trump, qui "parle fort mais n'a qu'un petit bâton" (la métaphore eût pu être plus osée, mais un Prix Nobel a de la tenue rhétorique...). Trump ne fera pas ce qu'il dit, se convainc Simon Johnson. Et pour lui, ce n'est pas une crainte mais un espoir : le pire n'est pas certain.
Le problème, c'est qu'il n'est pas exclu non plus.
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