Presse romande : Un tournant vers le fossé ?
Tamedia poursuit sa stratégie d'abandon progressif du papier (et donc de la presse) vers le numérique et les écrans : des titres sont déjà condamnés à la disparition en étant "intégrés sous un format numérique dans quatre grandes plateformes" régionales, dont une seule en Romandie : "24 Heures" (mais avec un "onglet" genevois...). Et on s'attend au regroupement des rubriques nationales et internationales en Alémanie, ce qui reste de titres romands devant se contenter d'articles traduits de l'allemand en français fédéral, par une intelligence aussi artificielle que possible. Depuis le début de l'année, il y a un rédacteur en chef de la rédaction romande de Tamedia -et c'est le rédacteur en chef de "24 Heures". A la "Tribune de Genève", il n'y a plus qu'un rédac'chef ad interim. Tout le monde (ou presque) regrette, proteste, s'alarme. Ou fait semblant. On notera tout de même une contribution comique au débat : celle du directeur éditorial de Tamedia, Simon Bärtschi, dans le futur supplément local de "24 Heures" (la "Tribune du bout du lac", donc) : le plan de son entreprise est un "tournant pour le journalisme de qualité". Un tournant, en effet, mais pour aller où ? au crématoire, dans le fossé, contre un mur ?
Il s'agit d'aider la presse, pas ceux qui arrosent son agonie de larmes de crocodiles.
Début décembre, l'Association genevoise des
journalistes organisait un débat autour de la question qui fâche
: "L'Etat doit-il financer les médias". Comme s'il ne les
finançait pas déjà, directement ou indirectement. La bonne
question aurait plutôt dû être "Comment l'Etat doit-il financer
les media ?" -en comprenant par "Etat" non seulement la
Confédération, mais aussi les cantons, voire les communes (en
particulier les villes). D'ailleurs, entre
les aides, les subventions et les mandats accordés par le canton
et par la Ville, sans oublier la redevance, la chaîne privée
Léman Bleu ne reçoit-elle pas déjà 4,2 millions d'argent public
?
A Genève, en particulier, la presse quotidienne
est à la peine : la "Tribune de Genève" est menacée de
disparition pure et simple (ou de réduction à une édition locale
de "24 Heures", ce qui revient au même) et sa rubrique culturelle va se réduire à la
critique cinéma et à la gastronomie et à la reprise d'articles
de "24 Heures" ou de la presse française (notamment du
"Figaro"), "Le Courrier" est en
crise financière permanente (sa dette atteint les 200'000 francs. Ce ne serait
rien pour un sous-produit de Tamedia, c'est beaucoup pour un
quotidien indépendant) et
l'avenir du "Temps" ne dépend finalement que du sort des autres
quotidiens de la place. Et cela lors que le volume d'information
à traiter ne cesse de s'accroître dans la capitale mondiale du
monde mondial, au rythme des crises internationales et des
soubresauts français.
Et maintenant, on fait quoi ? On propose quoi ?
Le gouvernement genevois a rencontré Tamedia... mais à quoi peut
bien servir de "rencontrer Tamedia", qui n'en a strictement rien
à secouer de la presse (imprimée) en général, de la presse
romande en particulier et encore moins de la "Tribune de
Genève". Et au Conseil municipal de la Ville de Genève, le MCG
demandait au Conseil administratif de lui aussi, comme le
Conseil d'Etat, de supplier (en allemand) Tamedia de renoncer à
ce à quoi Tamedia n'a aucune intention de renoncer. Devait-il,
le Conseil administratif, se rendre à Zurich, ou à Canossa, en
robe de bure, la tête couverte de centre, un cierge à la main ?
A droite, tous invoquent l'indépendance de la
presse pour refuser par principe une aide de l'Etat (ou de la
commune) au maintien (ou à la re-création) d'un journal.
L'indépendance de la presse devient ainsi une défroque dans
laquelle se drapent ou essuient leurs larmes de crocodiles
celles et ceux qui veulent bien geindre sur les coups portés à
des journaux, mais certainement pas agir pour les soutenir
réellement. Le Conseil d'Etat genevois exclut, par la voix de sa
présidente PLR, de prendre des mesures réellement efficaces,
dont un financement public, pour garantir «l’indépendance des
médias», comme si un tel financement menaçait cette
indépendance, comme si ce qui menaçait la "Tribune de Genève"
n'était pas, précisément, sa dépendance à l'égard de Tamedia.
Comme si la presse française, massivement aidée, avait perdu
de son indépendance face à l'Etat (elle ne la perd en ce
moment que face à des Bolloré) et renonçait à critiquer,
dénoncer, voire combattre le gouvernement et le président...
Il s'agit bien de soutenir, y compris financièrement, la presse indépendante non seulement de l'Etat ou des partis politiques (qui n'ont d'ailleurs plus en Suisse de presse quotidienne), mais surtout de groupes qui ne sont "de presse" que de celle qui pèse financièrement sur les rédactions. Et il s'agit de la soutenir, cette presse indépendante, et de soutenir ses rédactions pour les contenus spécifiques qu'elles proposent -que chacun des titres à soutenir propose, et que lui seul propose.
Il s'agit d'aider la presse, pas "les media" sans distinction. D'aider la presse, pas ceux qui arrosent son agonie de larmes de crocodiles et de justification du "passage au numérique". D'aider la presse, parce que "le papier, c'est la liberté. Pas d'algorithme qui nous prend par la main pur guider nos lectures. (...) Lire un journal papier, c'est s'ouvrir et résister. Résister à un monde du tout numérique", comme le proclame proclame l'édito du dernier numéro du bimestriel "La Brèche". Et le "Canard Enchaîné d'ajouter que "le papier, c'est toujours plus écolo que le numérique".
Vous nous lisez sur écran (nous n'y sommes que parce que nous n'avons pas les moyens d'être sous presse) ? Vous avez tort : imprimez-nous plutôt, vous nous lirez mieux.
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