Rendre les multinationales responsables de leurs actes, en Suisse comme ailleurs
Un peu plus de quatre ans après qu'une première initiative pour rendre les multinationales établies en Suisse responsables de leurs actes ait été repoussée par la majorité des cantons alors qu'elle avait obtenu la majorité (50,7 %) des votes du peuple, la coalition pour des multinationales responsables, qui regroupe pas moins de 90 organisations, relance une initiative, "afin d'augmenter significativement la pression sur les milieux politiques suisses" pour qu'ils accouchent d'une loi nationale qui inscrirait la Suisse dans la cohérence avec les lois en vigueur dans les pays voisins, et avec une directive européenne. Les initiants, qui se donnent trente jours plutôt que les 18 mois possibles pour obtenir les 100'000 signatures nécessaire à l'aboutissement de leur texte (il faut qu'il ait abouti au printemps, lorsque les Chambres fédérales auront à se prononcer sur ce dossier), n'excluent pas de le retirer si la loi qu'ils souhaitent était votée -les multinationales, évidemment, y sont férocement opposées, et la majorité de la droite aussi, alors même que l'initiative a été présentée à la presse par des hommes et des femmes issus du centre et de la droite, non de la gauche (qui soutiendra évidemment l'initiative, qu'on peut d'ores et déjà obtenir, signer en renvoyer en se rendant sur www.responsabilite-multinationales.ch
Où diable l'a-t-on remisée, notre bannière orange d'il y a cinq ans ?
Depuis six mois, une directive européenne sur la
responsabilité des multinationales est entrée en vigueur et
s'applique à tous les pays membres de l'Union européenne : elle
oblige les multinationales établies dans l'UE à respecter les
droits humains et les normes environnementales dans leurs
activités et à réduire leurs émissions nocives au climat. En
outre, des lois nationales sur la responsabilité des
multinationales sont en vigueur, ou des procédures judiciaires
nationale en cours, en France, Grande-Bretagne, Italie,
Allemagne, Pays-Bas et Norvège. Il y a cinq ans, la Suisse se
prononçait sur une initiative populaire allant dans le même sens
que les lois nationales ou la directive que ses voisins allaient
adopter. Le peuple avait accepté l'initiative, mais une majorité
des cantons l'avaient refusée, ce qui a laissé place nette à un
contre-projet se contentant de demander aux multinationales de
rendre un rapport. L'un des arguments avancés par les
multinationales, le Conseil fédéral et les partis de droite pour
inciter à refuser l'initiative était que la Suisse ne pouvait
pas se permettre de faire "cavalier seul" en adoptant des normes
que ses voisins n'avaient pas adoptées. Or désormais, c'est la
Suisse qui fait "cavalier seul" en n'adoptant pas les mêmes
normes que tous ses voisins et une vingtaine de paye européens,
ce qui fait d'elle une concurrente déloyale de ses voisins et
partenaires. Si une multinationale ayant so n siège en Suisse
conclut une "joint-venture" avec une entreprise européenne pour
l'exploitation d'une mine, seule l'entreprise européenne a des
comptes à rendre. La Suisse est ainsi le
dernier pays d'Europe (hors la Russie, la Biélorussie, l'Albanie
et les Etats issue de l'ex-Yougoslavie) à laisser des
multinationales établies chez elles polluer l'eau et l'air,
détruire des cultures vivrières, appauvrir des populations
autochtones, en ayant seulement seulement des rapports
autojustificateurs à rendre...
Selon un sondage de
juin-juillet 2023, 70 % de la population suisse serait prête à
ce que la Confédération se dote d'une loi sur la responsabilité
des entreprises envers les droits humains et l'environnement
-mais la majorité des opposants à l'initiative pour des
entreprises responsables, acceptée en 2020 par 50,7 % des
votants mais refusée par la majorité des cantons, refuserait
toujours une telle loi. Face à l'initiative, le Conseil fédéral
avait concocté un contre-projet indirect, sous forme précisément
d'une loi qui se
contente de demander aux entreprises de rendre compte de leurs
activités, et le dispositif d'application de la loi réduit
l'obligation faite aux multinationales de vérifier la provenance
et les conditions de production des produits importés à deux
critères : l'extraction de minerai dans des zones de conflit et
le travail des enfants. Il suffit dès lors à une entreprise
concernée par la réglementation de déclarer qu'elle se soumet à
une règle internationalement reconnue, qu'elle choisit
elle-même, pour n'avoir plus aucun compte à rendre. Et même dans
les deux cas retenus par l'ordonnance, les minerais de conflit
et le travail des enfants, les PME sont exclues du "devoir de
diligence".
Les
multinationales développent leurs
activités hors des limites de l'Etat
où est implanté leur siège, mais dans
cet Etat, elles sont soumises à ses
lois. Il y a donc une double nécessité
à laquelle répondre si on entent
encadrer, si peu que ce soit, leur
activité : celle d'un cadre national
et celle d'un cadre aussi
multinational qu'elles. Ce cadre
international ce sont, formellement,
les Etats qui le négocient entre eux,
comme l'ont fait les Etats membres de
l'UE pour la directive européenne. On
sait bien cependant que les
multinationales sont totalement
impliquées dans ces négociations, et
qu'elles y ont le pouvoir de peser sur
les Etats, même les plus puissants :
leurs chiffres d'affaires, leurs
bénéfices, leurs profits dépassent de
loin les ressources, et le
nombre d'emplois
dépendant d'elles le
nombre d'habitants, de
la plupart
des Etats.
La
nouvelle initiative s'inspire
largement de la directive européenne
mais n'en reprend cependant pas des
dispositions importantes : si les
entreprise à qui elle s'applique
(celles qui emploient plus de 1000
personnes et ayant un chiffre
d'affaire de plus de 450 millions de
francs) auront un "devoir de
diligence", devront prendre des
mesures pour éviter toute violation
des droits humains et se doter
d'objectifs de réduction des émissions
de CO2, elles ne seront pas,
contrairement à ce que prévoit la
directive européenne, tenues
responsables des actes de leurs
fournisseurs et sous-traitants. En
outre, les entreprises employant moins
de 250 collaborateurs seront exemptées
de toute obligation -or les négociants
en matière première, qui font
d'énormes profits, les font souvent en
employant relativement peu de
personnel. Enfin,
le "fardeau de la preuve" incombe
désormais aux accusateurs des
multinationales, et non plus aux
multinationales pour preuve de leur
innocence...
La
deuxième initiative populaire sur le
sujet n'est pas révolutionnaire,
observe "Le Courrier", qui y voit
cependant "un premier pas" (le
deuxième, en fait, mais le premier a
été stoppé par la majorité des
cantons). Un premier pas vers,
précisément, l'acceptation par la
Suisse de ses responsabilités, et
l'acceptation de la responsabilité de
leurs actes par les multinationales.
On va donc, peut-être, revoter sur la
responsabilité des multinationales
parce que la responsabilité de leurs
actes est aussi une responsabilité de
l'Etat où elles ont leur siège.
La
nouvelle initiative a été lancée en
conférence de presse par (entre
autres) des élus ou anciens élus du
centre et de la droite. Pourquoi pas ?
après tout, le discours libéral ne se
construit-il pas entre
autres (comme
le discours socialiste, d'ailleurs),
sur l'exigence de "responsabilité" ?
Ou alors, n'y aurait-il que les
pauvres et les chômeurs, les malades
et les sans domicile fixe qui
pourraient-être tenus pour
"responsables" de leur pauvreté, de
leur chômage, de leur maladie ou
d'être à la rue ?
Où diable l'a-t-on remisée, notre bannière orange d'il y a cinq ans ?
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