Transports publics, aménagements, parcage, mobilité intelligente et active : Un petit air de printemps...
Il y a comme un petit air de printemps sur la politique (ou LES politiqueS) de mobilité en Suisse (et particulièrement à Genève, où il est vrai on part de plus loin qu'en Alémanie). A Genève, la gratuité des TPG pour les moins de 25 ans (sous condition de revenu et de domicile ou de formation à Genève) et la réduction de moitié du prix de l'abonnement pour les rentiers AVS et AI sont entrées en vigueur le 1er janvier. Les citoyens et les citoyennes genevois ont également rejeté la proposition du Conseil d'Etat et de la majorité du Grand Conseil de leur enlever la possibilité dont ils disposent de se prononcer par référendum sur les tarifs des TPG et le Grand Conseil a finalement voté non seulement le "plan pour la mobilité" que leur proposait Pierre Maudet mais aussi le contrat quinquennal de prestation des TPG qu'il avait refusé un mois avant et qui prévoit d'augmenter de 30 % l'offre des TPG (surtout le soir, les week-end et aux heures de pointe), de développer l'offre de réseau de trams, d'électrifier les bus, d'engager près de 300 chauffeurs par an. La subvention publique augmente de 60 %. Les nouveaux horaires régionaux des TPG et du Léman Express, entrés en vigueur le 15 décembre accroissent considérablement leur offre (diurne et nocturne) et leurs cadences. Et le Conseil d'Etat prépare même un "métro" du pied du Jura au Salève. Enfin, en villes, et pas seulement à Genève, le nombre de places de parking sur l'espace public est en réduction constante. Et le 24 novembre dernier, le peuple suisse a refusé l'élargissement de "ses" autoroutes... Déjà un petit air de printemps, on vous dit...
"De l'incarnation de la liberté, la voiture est devenue une obligation encombrante. C'est cher et cela fait perdre du temps"
La politique des transports (pardon : de la
mobilité...) genevoise vit une intéressante mutation. Un peu
imposée par la lourde réalité d'une métropole transfrontalière
de plus d'un million d'habitants, sa croissance démographique et
économique, mais aussi par l'urgence d'une réponse à la crise
climatique : il y a là les signes encourageants d'une prise de
conscience et d'une volonté de commencer à la traduire en acte.
Ce n'est qu'un début, mais c'est un bon début.
D'abord, il y a la gratuité des transports publics
genevois (les TPG) pour les jeunes et la réduction de moitié du
prix des abonnements pour les rentiers : le recours des deux
députés PLR Zweifel et Genecand contre la gratuité pour les
moins de 25 ans ayant été rejeté par la Chambre
constitutionnelle de la Cour de justice genevoise, qui leur
avait déjà refusé l'effet suspensif de cette semi-gratuité,
cette gratuité (et la réduction de moitié du prix de
l'abonnement pour les plus de 65 ans et les invalides est entrée
en vigueur le 1er janvier. Et le 2 janvier, 6000 abonnements
gratuits pour des jeunes ou à prix réduit pour les rentiers
avaient été distribués. Et la demande continue : près de 180'000
personnes pourraient profiter de la gratuité ou de la réduction.
Là, il reste à faire le dernier pas : celui vers la gratuité
générale...
Ensuite, il y a l'amélioration de l'offre de
transports publics dans tout l'espace genevois, dans et hors du
canton. Si les relations ferroviaires de Genève avec la Suisse
paient la dernière refonte des horaires CFF, qui rallonge les
temps de parcours et imposent un arrêt systématique à Renens,
devenue une sorte de Olten romand, elles vont se développer avec
la France, et à l'intérieur du territoire genevois. Le Léman
Express va circuler 24 heures sur 24 à la cadence d'un train par
heure toutes les nuits, avec depuis Cornavin un prolongement
vers et de La Plaine. Le samedi soir, cinq trains
supplémentaires seront en service entre Coppet et Annecy. En
semaine, une deuxième rame fera liaison aux heures de pointe
entre Annemasse et Coppet et entre la Plaine et Cornavin. Les
TPG vont quant à eux renforcer leur offre nocturne et créer une
"ligne des plages".Bref, moins les relations ferroviaires de
Genève avec la Suisse (au-delà de Coppet) sont bonnes,
meilleures elles sont avec la France voisine, et à l'intérieur
même du territoire cantonal, dont le maillage en transports
publics de toutes natures s'améliore et devrait encore
s'améliorer. Elles en avaient
besoin -et les liaisons avec, d'un côté, la Suisse et, de
l'autre côté, Lyon aussi : en 1901, les trains express (directs
intervilles) ne mettaient déjà que 45 minutes pour relier
Genève et Lausanne. En plus d'un siècle, on n'avait gagné que
10 minutes... avant d'en revenir souvent à ces trois quarts
d'heure du début du siècle passé.
Enfin, il y a la libération de l'espace public des places de parcage des automobiles qui le parasitaient : 3000 de ces places (10 % du total) ont été supprimées en ville de Genève depuis 2015 (autant qu'à Zurich), et des centaines, peut-être des milliers, dans les autres communes (400 à Lancy, par exemple). Et dans les vingt-cinq ans à venir, la Ville veut encore en supprimer 12'000 (ce qui favorisera, collatéralement, la création voulue par le canton de 120 places de parcage supplémentaires pour les personnes à mobilité réduite). But de l'exercice :éviter que des usagers venant de l'extérieur de la ville s'y rendent en voiture alors qu'ils pourraient s'y rendre autrement.
Et on ajoutera à cela la volonté proclamée,
tant par le canton que par la Ville, de réaliser de nouveaux
aménagements cyclables et piétons continus et protégés, et de
modérer la vitesse sur les routes et dans les rues.
Tout cela témoigne, à Genève comme ailleurs
en Suisse, d'un profond changement d'attitude des habitantes
et des habitants -c'est ce changement social qui rend possible
le changement politique. La
population n'y fait plus de la défense de la voiture
individuelle une priorité, sinon pour les quinze pourcent
d'automobilistes contraints, par leurs horaires, leurs
activités, leurs lieux de vie et de travail, leur état
physique. La défense de la liberté absolue de se déplacer en
bagnole est devenue un combat d'arrière-garde : "de
l'incarnation de la liberté, la voiture est devenue une
obligation encombrante. C'est cher et cela fait perdre du
temps", résume Vincent Kaufmann. Aujourd'hui, presque la moitié
de foyers de la Ville de Genève n'a plus de voiture, et le
nombre de voiture en circulation diminue depuis dix ans -celui
de l'espace public qui leur a été affecté quand elles ne
circulent plus peut aussi se réduire.
Toutefois, on ne parle ici que des villes. Car l'automobile a permis la péri-urbanisation. Il devient de plus en plus courant de s'installer à la campagne (en la transformant en un prolongement "rurbain" de la ville), mais si c'est dans une zone mal desservie par les transports publics, il est difficile de se passer de voiture pour aller travailler, se délasser, faire des achats. La voiture est dans ce cas comme une condition de la maison individuelle. en même temps que la maison individuelle la raison de la voiture. Et c'est un désastre social et environnemental, auquel il convient d'opposer des villes à la fois compactes (Genève l'est) et végétalisées (Genève promet de le devenir). L'architecte Jean-Marc Lamunière invitait à "renverser la hiérarchie" dans le partage de la rue urbaine. Autrement dit, à en finir avec l'inégalité de la répartition des modes de déplacement dans l'espace public. Vaste programme : cette hiérarchie, cette inégalité, ont un siècle d'existence pesante, et procèdent non d'une fatalité, mais d'un choix délibéré : reléguer piétons et cyclistes à la périphérie des voies de circulation, laisser l'automobile circuler librement en contenant les autres usagers de la route là où ils la gêneront le moins.
Le primat de l'automobile a eu des effets considérables sur l'aménagement du territoire : multiplication des zones industrielles et commerciales, prolifération des rocades, des parkings, des rond-points, des contournements autoroutiers des villes, elles-même redessinées par l'automobile-avant que de se reprendre et de lui reprendre une part croissante de leur espace par des zones piétonnes, des transports publics en site propre, des parcours réservés aux cycles. Lorsqu'elle était encore le mode de déplacement d'une minorité, la voiture permettait un gain de temps et de liberté de mouvement. Mais au fur et à mesure que son usage se généralisait, les lieux de logement et de travail se distançaient les uns des autres, les temps de trajets s'allongeaient, le coût du transport renchérissait -et les embarras de circulation s'aggravaient. La philosophe Pascaline Sordet résume : "l'outil a dépassé son seuil critique et se retourne contre son utilisateur". Et si jusque dans les années cinquante seuls ceux qui pouvaient se le permettre avaient une voiture, aujourd'hui, c'est pour s'en passer qu'il faut se le permettre :on est toujours dans une "société à deux vitesses", mais la vitesse haute est sans voiture.
Lorsque les villes étaient essentiellement piétonnes, elles étaient les lieux d'une mixité sociale plus forte que depuis que l'automobile y règne en maîtresse, et que l'éloignement d'une partie de la population -la plus riche et la plus pauvre- y a favorisé à la fois la ségrégation résidentielle et la ségrégation fonctionnelle. Les transports publics d'une part, la piétonisation d'autre part, sont des moyens de revenir sur cette double ségrégation -à condition d'en avoir la volonté politique. La Ville l'a. Il convient de lui en donner dans un peu plus de trois mois le moyen politique de la traduire en acte : une double majorité claire au Conseil municipal et au Conseil administratif (pas seulement en Ville, d'ailleurs : dans les autres villes du canton aussi...). Et d'où cette double majorité pourrait-elle venir, sinon de la gauche ?
Magnifique hymne antibagnole.
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