Ahmadinedjad aboie, le consensus passe

Mahmoud Ahmadinejad a donc fait exactement ce qu'on savait qu'il allait faire, dès lors que sa venue à la Conférence de l'ONU contre le racisme avait été annoncée : il a tenu un discours provocateur, au prétexte d'antisionisme. Et tout le monde en " Occident " de jouer les vierges effarouchées, et de dénoncer le " nouveau dérapage " du président iranien. Tu parles d'un dérapage : contrôlé, prémédité, et même annoncé, le dérapage… Ahmadinejad est en campagne électorale pour sa réélection, et l'Iran en campagne permanente (depuis mille ans) pour le leadership sur le " monde musulman ". Quoi de plus tentant pour Iznogoud qu'une tribune onusienne pour faire parler de soi et de son califat ? Le président iranien ayant tenu son rôle, les représentants européens ayant adopté la posture outragée qu'ils avaient prévu d'adopter, la conférence pouvait aboutir là où il était prévu qu'elle aboutisse : à une résolution consensuelle. Et chacun repart de Genève avec les certitudes qu'il avait amenées dans ses bagages et la satisfaction, sinon du devoir accompli, du moins du rôle joué.

Théâtre d'ombres
La déclaration finale de la Conférence de l'ONU contre le racisme a été adoptée par acclamation et par consensus , au lendemain de la prestation du président iranien. Pour la haut-commissaire de l'ONU au droits de l'Homme, Navy Pilay, la déclaration de Genève constitue la " réponse " de l'ONU au discours virulent d'Ahmadinedjad. Sauf que la réponse avait été rédigée avant le discours, et que le président iranien la connaissait déjà au moment où il montait à la tribune. Mais Bernard Kouchner est content : " A partir d'aujourd'hui, il y a un texte de référence qui concerne les discriminations ". A partir d'aujourd'hui ? Les grandes déclarations internationales proclamant les droits de l'Homme ne comptaient donc pour rien ? Et le texte adopté à Genève, purgé de tous les thèmes de discorde, serait donc la pierre philosophale de l'humanisme contemporain ? Tout le dispositif de la Déclaration universelle des droits humains et des textes qui la complètent repose sur ce prédicat initial : les êtres humains naissent libres et égaux en droit. Tout le reste en découle, et rien de ce qui suit n'a de sens si ce prédicat initial n'est pas tenu pour fondamental. Or depuis des années, on (et si impersonnel qu'il soit, ce on désigne beaucoup de monde) s'acharne à le vouloir vider de son contenu, et de sa charge subversive. Les droits humains sont les droits de toutes les personnes contre tous les pouvoirs, de chaque personne contre chaque pouvoir -pas les droits d'un pouvoir contre un autre. Et ces droits fondamentaux sont reconnus à des personnes et à des peuples, pas à des religions, des philosophies, des idéologies ou des Etats. La lutte contre la racisme est une nécessité; la reconnaissance des génocides est une exigence; la réparation de l'esclavage est un devoir... mais aussi : l'égalité des droits n'est négociable ni entre femmes et hommes, ni entre homosexuels et hétérosexuels, ni entre migrants et installés, ni entre nomades et sédentaires... mais encore : la liberté religieuse implique le droit à l'apostasie, la liberté de conscience implique le droit à l'athéisme, la liberté d'expression implique le droit au blasphème. Ce sont là des exigences, en deçà desquelles l'antiracisme n'est qu'une posture et le consensus qui clôt la conférence de Genève un théâtre d'ombres.

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