Neuvième jour

Il faut terminer nos livres ou les abandonner pour les archanges rebelles, quand fantômes et sorcières désertent un monde sans état d'âme.

Il y a ce charme irrésistible de chair et de mots mêlés qui fait que les reines attendent les revenants quand les artistes se sont fait ministres.

Le cauchemar contemporain est d'aventures tristes et d'orgies rééditées, souvenirs de fonctionnaires, érotisme timide de culs tempérés. Il faut retrouver la source¨ des déchirures et des malheurs : on oublie ce qu'on y a découvert, ce que cela a de dur et de violent, et les modes reviennent, anonymes et coquettes.

Par temps de tapages, cela devait arriver : les violents -du beau monde, les précaires et les permanents, les fondateurs et les animateurs douloureusement malades, ferment le cercle. On connaît l'antienne : les débuts de siècle sont inéluctables pour qui ne sait changer de calendrier.

Le sujet était le sexe et l'on racontait sa vie avec des mots trop sobres de clinicien. Il faudra attendre les victimes, les accidents, les pertes, pour que les rêves s'échappent de cette gangue. Il pleut encore des biographies parce que nous ne savons plus rien de nos vies.

Nos enfants illégitimes reposent. Ils n'ont pas encore affûté les couteaux des parricides et notre mémoire s'effiloche.

Un jour, en d'autres temps, parricide sage et extravagant, il disait dit la revanche d'un peuple exilé et avec lui nous faisions notre apprentissage de maléfices et de trahisons et nous retrouvions ce que nous avions oublié.
Qu'est-ce enfin que cette modernité, contenant sans contenu dont on nous savonne les oreilles ?

L'assassin habitait chez les fils des rescapés d'un génocide. La propagande du doute et l'étude du soupçon sont toute l'histoire des haines, de celles qui nous rendent sourds et de celles qui nous rendent aveugles.

Le journaliste et le traducteur, l'essayiste et le romancier, le poète et le dramaturge, tous gardent dans leurs placards des cadavres que l'on donne à lire aux gloutons. Mais pour les princes et les institutions, on a d'anciennes romancières que nul ne lit plus.

La poésie ressasse la mémoire et les derniers mots d'un poète arménien sont comme une arche, une oeuvre miraculeuse, le drame invisible d'un funambule anarchiste contemplant de son fil une nuée de cadavres recouvrant le monde, déluge sans tapage aux vagues de douleurs.

Un autre jour, en un autre temps, Il nous faudra dire la sombre magie des tournées de bars, et ces voyages dans l'art de persuader où l'on nourrit les masques et recueille les aveux des impardonnables siégeant du haut de leur trépas prochain dans une infernale solitude toute de liberté à l'orée d'inquiétants jardins pavés de nuits terribles.

Une rencontre dans une promenade estivale. Un visage. Des sentiments trahis et feints. Une chronologie, une biographie. Le monde gris des exilés où remuent les souvenirs, où l'on médite sur le mal et d'où l'on repart pourtant.

Les charmes de l'impatience s'estompent, et les guerres, et la terreur, et la barbarie. On ne peut qu'aimer les mauvais sujets, envier leurs curieux destins loin de toute retraite. La séduction est affaire de patience, qui fait toute une histoire de rencontres clandestines.

Le rêve est mort, restent les bourreaux et leurs secrets.

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