A propos des syndicats

1
Du syndicalisme, quelque variante que l'on en examine, nous n'attendons à vrai dire plus grand chose -sinon l'élévation du niveau de survie, mais souvent au prix de l'abaissement du seuil de tolérance à l'aliénation. Il se trouve que, fondé sur l'identification du travailleur à son travail et sur sa localisation sociale dans son entreprise, c'est-à-dire chez son employeur, le syndicalisme traditionnel est rompu dès lors que se rompt cette localisation, que ce n'est plus dans l'entreprise que se matérialisent le contrat social et la contradiction fondamentale entre possédants et possédés, dominants et dominés. Au surplus, persister à vouloir organiser les travailleurs salariés en tant que tels, avec pour objectif (ou mission) d'augmenter le prix de leur temps de travail, conduit forcément à pérenniser (ou à tenter de le faire, y compris contre l'évolution du capitalisme lui-même) cela même dont il nous importe de nous défaire : le salariat.

2
Que les travailleurs eux-mêmes commencent à prendre distance d'avec le travail, et que s'affaiblisse le lien laborieux liant celui qui vend sa force de travail à celui qui l'achète, est certes pour nous (mais non pour les syndicats traditionnels, fondés sur ce lien laborieux) une excellente chose, quoique l'affaiblissement de ce lien ne signifie pas que les autres liens, non moins solides (si moins visibles) liant le travailleur à la marchandise et au temps de repos de sa force de travail, fussent de même affaiblis. Or notre tâche est d'affaiblir ou de rompre ces liens, tous les liens sociaux produits par le capital, quand le syndicalisme traditionnel n'a plus guère de projet que celui de les maintenir et, quand il le peut, de les renforcer (à commencer par le salariat, à continuer par l'Etat). De ce syndicalisme-là, il nous semble que nous devrons émanciper le syndicalisme possible des exclus -un syndicalisme possible ne revendiquant ni une aumône, ni une place au soleil, ni une augmentation du prix du temps, mais toute la place, tout le soleil, et tout le temps.

3
L'unité de la classe ouvrière (des travailleurs, des salariés, comme on voudra) n'est pas une donnée des faits mais un objectif, un programme, une volonté politique -qui n'ont de sens que si l'unité des travailleurs se fait contre le travail et celle des salariés contre le salariat. Cet objectif, ce programme, cette volonté sont d'abord des refus : celui des divisions fondées sur autre chose que sur des choix. De telles divisions ne sont que de triviaux constats de différences (liées au sexe, à l'âge, à l'origine, à la qualification, à l'emploi). Elles ne sont qu'apartheid : inégalités, plus encore que divisions.

4
Le mouvement syndical d'aujourd'hui n'est le plus souvent, dans nos pays, qu'un mouvement de revendication de l'intéressement aux profits capitalistes -un mouvement de partage, certes, mais de partage respectueux de ce qu'il veut partager, et de ceux avec qui il négocie ce partage.
Il est vrai que si l'on se contente de demander au capitalisme de l'argent (ou du temps, ce qui pour lui revient au même), c'est qu'on a eu largement le temps d'apprendre qu'il ne fallait rien en attendre d'autre que de l'argent. Le capitalisme peut partager (un peu) ses profits, si ce partage lui rapporte -et il lui rapporte, ainsi que l'illustre la création de l'Etat social par la social-démocratie : la socialisation du capitalisme a renforcé le capitalisme ; elle a " produit " des consommateurs capables de consommer beaucoup plus que les hâves prolétaires du XIXème siècle ; elle a aussi " produit des producteurs " infiniment plus efficaces que les manœuvres analphabètes de la révolution industrielle ; elle a enfin accordé à tous les sociétaires des sociétés postindustrielles des moyens d'existence garantis, même en cas d'incapacité de travail (le refus du travail, c'est autre chose : une atteinte au dogme, une violation du tabou -et cela doit se payer, et cela se paie, cher…). L'Occidental " normal " consomme de la naissance à la mort -en fait, il consomme déjà avant de naître, et consomme encore après être mort. L'Occidental est un consommateur de la conception au pourrissement.

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