Le clocher, le minaret et la laïcité

Rendez-vous le 29 novembre

On votera le 29 novembre sur l'initiative crypto-UDC visant à interdire l'érection de minarets. " Plus vite on aura dit non à cette initiative et mieux ce sera ", avait estimé Pascal Couchepin, ajoutant qu'il fallait " liquider ce texte au plus vite pour aborder les vrais problèmes ". De Port-Royal ou de Martigny, les pensées de Pascal sont éclairantes. Un texte qui propose de violer ouvertement un droit fondamental (la liberté de religion), un principe non moins fondamental (l'égalité des citoyennes et citoyens devant la loi) et plusieurs textes internationaux exprimant ce droit et ce principe, sera donc soumis au vote. La campagne s'annonce parfaitement nauséabonde -comme l'aurait été dans les années trente du siècle passé celle pour une initiative proposant d'interdire la construction de synagogues. En trois quarts de siècle, n'aura-t-on réussi qu'à échanger la judéophobie contre l'islamophobie ?

Laïc et nunc
Si stupide qu'elle soit, ou plutôt en raison même de sa stupidité, l'initiative des clochers contre les minarets va nous pousser à un exercice joliment paradoxal : défendre les minarets au nom de la laïcité... Une collectivité politique laïque n'accorde aucun privilège confessionnel, même si la culture qui la produit n'est jamais exempte d'héritage religieux : si la démocratie est inconvable sans les Lumières, les Lumières sont elles-mêmes incompréhensibles sans la rupture préalable de la Réforme, elle-même impossible sans qu'avant elle l'humanisme ait fleuri -qui ne pouvait fleurir sans ses racines chrétiennes, et donc juives, ni sans l'apport de la civilisation islamique. Il n'empêche : la République, la Commune, la Confédération ne sont plus chrétiennes, et face aux religions, la République doit être à la fois indifférente et égalitaire -elle doit être égalitaire dans son indifférence, ne privilégiant aucun choix religieux. Ce disant, ne nous ne nions pas les héritages religieux et culturels : nous les additionnons. Nos sociétés d'Europe occidentale héritent certes de plus d'un millénaire de christianisme (si l'on part de l'époque où le christianisme s'est réellement imposé dans l'ensemble de la société, et pas seulement au sein de l' " élite dirigeante " -on notera d'ailleurs avec amusement que les peuples d'Europe ne sont réellement devenus chrétiens qu'au temps de l'expansion de l'islam…), mais elles héritent aussi des siècles de paganisme qui ont précédé la christianisation, des siècles de judaïsme dont le christianisme est issu, et des siècles d'apports religieux et philosophiques aussi divers que contradictoires : nos sociétés, aujourd'hui, sont illisibles si on ne tient pas compte de ces apports, et en particulier de ceux de l'islam et des philosophies a-religieuses ou anti-religieuses. Mais aucun de ces apports n'a à s'imposer comme une norme. Si norme il doit y avoir, c'est celle de l'égalité des droits entre les individus : les chrétiens ont droit à des églises, avec des clochers ? les musulmans ont droit à des mosquées, avec des minarets. Les musulmans n'ont pas droit aux minarets ? Alors, que les chrétiens se passent de clochers !

Commentaires

  1. Belle synthèse de la laïcité. Il me semblerait quand même que l'héritage chrétien est le plus important dans la mesure où c'est autour de lui que se structure toute notre culture. Cela n'entraîne aucune dogmatisation de cette tradition puisque chacun peut en disposer comme il l'entend en dehors de toute Eglise et de tout langage directement religieux. C'est ce que, à mon sens, ont fait Habermas ou les cinéastes wallons que sont les Frères Dardenne. On peut retrouver ce qui en est dit en tapant une recherche "Au dos de nos images" ou "Habermas La religion comme savoir" sur Google.

    Je voudrais aussi serrer chaleureusement la main à Pascal que je retrouve toujours aussi républicain que j'espère l'être moi-même.

    Salut et Fraternité!

    José Fontaine

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