La mendiante et le businessman (fable genevoise)

Une mendiante roumaine, disposant d'un passeport, d'une carte d'identité et
d'un domicile légal, avait été condamnée à dix jours de prison pour
n'avoirpas répondu dans les délais à une notification d'amende (pour mendicité)
parue dans la " Feuille d'Avis Officielle " genevoise, publication certes
remarquable mais dont la Roumaine, par ailleurs analphabète, ignorait
l'existence. Le Tribunal d'application des peines et mesures (Tapem)
constatant que la mendiante avait un domicile en Roumanie, c'est-à-dire
dans l'Union Européenne, et que la notification aurait dû, selon la loi,
lui être communiquée à cette adresse, avait remis la mendiante en
liberté,après qu'elle ait tout de même passé six jours en prison. Pas content de se
voir désavoué, le Parquet avait fait appel, en expliquant que les Rroms
vivant souvent de manière itinérante, on pouvait les considérer comme des
SDF… A quoi la défense de la Roumaine avait répliqué que dans ces
conditions, " tout businessman doit également être considéré comme SDF ".
Pour le procureur (ou son substitut), peu importent la réalité des
situations et la lettre de la loi, il faut faire un exemple. A n'importe
quel prix : " c'est un cas test car beaucoup de procédures sont en attente
de la décision ". Manière de dire au Tribunal : ne respectez pas trop le
droit, ça entraverait la chasse aux mendiants rroms à laquelle nous nous
livrons depuis que la droite genevoise l'a ouverte.

Quand l'histoire bégaie…
Les Rroms redeviennent à Genève ce qu'ils ont été en Europe occidentale
jusqu'à la tentative nazie de les exterminer : des parias. Et pour être
certains qu'ils le restent une fois renvoyés là d'où ils étaient venus,
lespoliciers genevois inscrivaient jusqu'à très récemment dans leur passeport
la mention " Mendiant ". On a progressé dans l'alphabet, en Suisse, en
septante ans : on est passé du J de " juif " (ou " juden " apposé dans les
passeports des juifs allemands fuyant le nazisme, au M de " mendiant " pour
les Rroms dont on veut se débarrasser. C'est totalement illégal, la police
a promis de faire une enquête, la police cantonale et la police municipale
se sont renvoyé la baballe, la cheffe de la première a promis des "
sanctions disciplinaires " et de " réparer les torts " et le chef du
Département que Genève payera le remboursement des passeports maculés. De
1905 à 1972, la Suisse interdisait aux Tziganes l'entrée sur son
territoire, et les Yéniches furent discriminés, voire persécutés, et même
mutilés (des femmes ont été stérilisées…) ; de 1926 à 1973, l'Oeuvre
des enfants de la grand'route, un service de Pro Juventute, a systématiquement
détruit les familles yéniches en arrachant les enfants pour les placer en
orphelinats. Pro Juventute avait fait, tardivement, acte de contrition.,
des réparations ont été accordées aux victimes. Et aujourd'hui ? " Il y a
une criminalisation générale de la pauvreté dans laquelle les Roms font
figure de boucs émissaires ", estime le président de la section genevoise
de la Ligue des droits de l'homme. Et on ne peut pas dire que ce processus
soit entravé par une mobilisation significative de la gauche, requise par
son train-train politique, institutionnel ou non. Les Rroms se retrouvent
sans soutien, l'association Mesemrom à peu près seule à leurs côtés. Mais
patience : gageons que dans soixante ans, Genève et le Musée de la Croix
Rouge organiseront des expositions pour rendre hommage aux rares défenseurs
genevois des Rroms...

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