9 novembre : Complètement murs

Le 9 novembre est une date qui a quelques chances de rester dans nos mémoires. Après septante-sept ans, on commémore toujours à Genève le massacre du 9 novembre 1932 (la fusillade d'une manifestation antifasciste par notre glorieuse armée fédérale), et depuis une semaine, tous les media se consacrent à la remémoration de ce 9 novembre 1989 où chut le mur de Berlin. On commémore, donc. Mais pour faire quoi de ces commémorations, et tirer quels enseignements des événements que l'on commémore ? Vingt ans après la chute du Mur de Berlin, d'autres murs ont été construits, maintenus, renforcés, ou sont en projets -et nombre de celles et ceux qui célèbrent aujourd'hui la chute du mur berlinois, il y a vingt ans, se satisfont de tous ces autres murs ou s'y résignent, quand ils n'appellent pas à en construire ou en reconstruire d'autres.

La morale de l'histoire
Le régime est-allemand avait édifié un mur pour interrompre l'exode de ce qui équivalait en RDA aux " classes moyennes et supérieures " de l'ouest : une population à haut niveau de formation, sans laquelle non seulement il était illusoire de vouloir construire la " nouvelle société " promise -à laquelle le régime lui-même avait d'ailleurs renoncé, son pouvoir lui tenant lieu de projet-, mais sans laquelle la société existante, telle qu'elle était, ne pouvait tout simplement pas " fonctionner ". Le mur a freiné cet exode mais en confinant la RDA dans son propre marasme, et c'est toute la RDA qui s'est finalement dissoute quand le mur a été démantelé. C'est le destin des murs que satisfaire pour un temps à une pulsion sécuritaire ou un recroquevillement tribal, pour finalement ne plus servir qu'à des commémorations, des collections ou des excursions. L'histoire des murs a une morale -la même dans toutes ses variantes: les murs tombent, se percent, se contournent ou se surmontent. Toujours, partout. Ceux que l'on voulait retenir déferlent, ce qu'on voulait empêcher survient. Les Mongols franchissent la muraille de Chine, les Allemands de l'Est le rideau de fer, les Mexicains le mur édifié par les Etats-Unis pour les empêcher d'immigrer, les Palestiniens contournent le " mur de sécurité " israélien, les clandestins passent par les contrescarpes de la " forteresse Europe "... Les murs ne servent jamais à rien qu'à donner à ceux qui se calfeutrent à leur ombre un sentiment illusoire de sécurité, que la réalité ne tarde pas à faire voler en éclats de rire. Au nombre des lieux communs rabâchés à propos de la réunification allemande (c'est-à-dire de l'Anschluss de la RDA par la RFA), il y a celui-ci : le mur n'est pas tombé dans les têtes. L'envie de s'emmurer non plus, même dans notre petit eldorado suisse et dans son promontoire genevois, que nombreux, même à gauche, voudraient bien voir emmurés, claquemurés, politiquement, juridiquement, administrativement, à défaut de pouvoir décemment le faire physiquement. Les murs sont encore dans les têtes, et il n'y a finalement guère de différence entre les murs construits pour empêcher les autres d'entrer et ceux construits pour empêcher les nôtres de sortir.

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