Le droit de parler et l'envie de faire taire

De la liberté d'expression

Oskar Freysinger, qu'on avait pris l'habitude d'entendre glapir à la " liberté d'expression " lorsque les campagnes ordurières de l'UDC suscitaient des plaintes ou des demandes d'interdiction d'affichage, n'a pas aimé être caricaturé aux côtés de Hitler avec comme légende " Autrichiens : on a déjà donné ", dans le journal radical valaisan " Le Confédéré ", qui voulait ainsi répondre aux campagnes de l'UDC par les mêmes méthodes que l'UDC. Et donc, le génie des alpages a porté plainte contre le redac'chef du " Confédéré ", Alphonse Ribordy, et l'a fait condamner pour diffamation à 120 heures de travail d'intérêt général, avec sursis. L'épisode a quelque chose d'exemplaire : ce que l'UDC et ses porte-paroles revendiquent pour eux-mêmes, et pratiquent assidûment, ils ne l'acceptent pas lorsque leurs adversaires en usent. Alphonse Ribordy n'a finalement été condamné que pour avoir fait ce qu'Oskar Freysinger fait à longueur d'année. Il y a ainsi des gens qui ne revendiquent pour eux-mêmes le droit de parler qu'en y ajoutant le devoir pour les autres de se taire.

Tout dire, tout écrire
Dans une société où la diversité des opinions est telle qu'il est impossible de les approuver toutes, on doit partir du principe que leur expression doit être possible a priori, la responsabilité de ceux qui s'expriment s'affirmant par le risque qu'ils prennent quand ils s'expriment à visage découvert. Ce risque est le prix de leur liberté et la mesure de leurs contradictions : Céline est un immense écrivain qui a écrit d'immenses saloperies. Heidegger est un grand philosophe qui a été nazi. Godard est un cinéaste de génie qui a dit des conneries. Pour être tenu pleinement responsables de ce que nous disons, ou écrivons, il faut bien que nous ayons le droit premier de le dire ou de l'écrire. Que Freysinger fasse un procès à Ribordy parce que Ribordy a utilisé pour évoquer Freysinger la rhétorique que Freysinger utilise pour évoquer les musulmans, n'illustre que l'absolue hypocrisie des discours de l'extrême-droite sur la liberté d'expression, réduite à sa propre liberté de dire, d'écrire et d'afficher n'importe quoi, à propos de n'importe qui. Or il ne peut y avoir deux poids, deux mesures, dans le combat pour la liberté d'expression. Noam Chomsyky relevait à propos de l'affaire Faurisson qu'on rend un triste hommage aux victimes de l'holocauste en adoptant la conviction de leurs bourreaux, qu'il appartient à l'État de déterminer ce qu'on a le droit et ce qu'on a pas le droit de dire. On requiert un an de prison (avec sursis) contre Dieudonné pour un sketch imbécile et insultant, mais que l'année de prison requise ne rendra ni moins imbécile ni moins insultant... Chaque restriction de la liberté d'expression légitime toutes les autres. Quand certains d'entre nous réclament l'interdiction des affiches ordurières de l'UDC, non seulement ils font à ces affiches et à l'UDC une publicité inutile, mais ils légitiment par avance les démarches visant à réduire notre propre liberté d'expression. Dans ce jeu de dupes, ce sont toujours les plus puissants et les plus riches qui gagnent. Et nous ne sommes ni les plus puissants, ni les plus riches. Si le souci de la cohérence libertaire ne suffisait pas à nous dissuader d'user de l'appareil répressif d'Etat pour faire taire nos adversaires, un peu de mémoire historique, et le souci de nos propres droits, devrait y suppléer. Et puis, que les salauds parlent, à visage découvert et à identité vérifiable, nous évite au moins l'effort d'aller les débusquer.

Commentaires

Articles les plus consultés