Un Ouzbek, ça va... Deux Ouïgours, bonjour les dégâts...

La Suisse s'émeut : après que Genève ait accepté de recevoir un Ouzbek
détenu pour rien à Guantanamo, mais risquant le pire s'il devait rentrer
en Ouzbékistan, le Jura a accepté de recevoir deux Ouïgours chinois
raflés par les Américains en Afghanistan après leur avoir été vendus par
des seigneurs de guerre afghans, et eux aussi détenus pour rien (depuis
huit ans...) à Guantanamo. L'arrivée annoncée de l'Ouzbek à Genève avait
déjà fait lever le sourcil inquiet de quelques politiciens locaux ornant
de leurs séants les bancs des parlements, mais l'hypothèse de l'arrivée
des deux Ouïgours dans le Jura a provoqué une petite panique,
soigneusement attisée par l'Ambassade de Chine (soutenue par Christoph
Blocher) pour qui il s'agit de « terroristes » Que rien n'ait jamais pu
être retenu contre eux par les Américains n'a évidemment aucune
importance. En revanche, le marché chinois, ça, c'est important. On ne
va tout de même pas se fâcher avec la puissance montante du moment pour
deux métèques. Musulmans, en plus, les métèques. C'est vrai, quoi, ils
pouvaient pas être bouddhistes, ces Ouïgours, comme des Tibétains
normaux ?

Otages
Ils ont passé sept ou huit ans dans le camp de Guantanamo, rien n'a
jamais pu être retenu contre eux, leur détention a été jugée illégale
par un tribunal américain, mais les deux frères Mahnut ne peuvent
quitter Guantanamo (dont Obama a reporté la fermeture, et où près de 200
personnes sont encore détenues) que si un Etat accepte de les recevoir,
leur retour en Chine équivalant au passage d'un enfer à un autre compte
tenu de ce dont les qualifie la Chine (« terrorisme islamiste ») et de
ce qu'elle leur promet s'ils remettent les pieds dans l'Empire du Milieu
et du capitalisme à parti unique. La logique et la justice voudraient
que les coupables de leur détention arbitraire acceptent de leur
accorder le droit de s'établir sur leur sol -mais la logique et la
justice dans ce genre d'affaire y ont la même place que les garanties
des droits de la défense, de la personne et des libertés fondamentales à
Guantanamo ou en Chine. Les USA ne veulent pas voir leurs propres
victimes s'installer chez eux, et on se les repasse donc comme autant de
patates chaudes, d'Etat en Etat, sous l'œil vigilant de la Chine et des
extrême-droites nationales. Deux Ouïgours pourraient venir en Suisse,
rejoindre un Ouzbek accepté par Genève et la Confédération ? Vous n'y
pensez pas... certes, nous avons accueilli des milliers de tibétains
dans les années cinquante, mais la Chine d'alors n'était pas une
superpuissance économique, et sortait à peine, et aux forceps maoïstes,
de décennies de guerres, d'invasions, de dépeçages colonialistes et de
siècles de décadence... On pouvait prendre courageusement le risque de
la fâcher, d'autant que le risque était mesuré : Après tout, que les
Tibétains aillent se réfugier à l'autre bout du monde en libérait le
Tibet pour les Han... Mais nous sommes aujourd'hui dans un autre monde :
celui où la Chine est la principale puissance exportatrice du monde et
est en passe d'en devenir la deuxième superpuissance. Deux Ouïgours
pesant plus en 2010 que des milliers de Tibétains cinquante ou soixante
ans plus tôt, le Conseil fédéral se voit sommé par deux commissions
parlementaires de choisir entre les Etats-Unis et la Chine. De ce choix,
les deux Ouïgours ne sont qu'otages. « Que vaut une promesse de la
Suisse ? », se demande Le Courrier... elle vaut le prix fixé par la
Chine : la Suisse s'apprête à signer avec elle un accord de
libre-échange. Le libre-échange des marchandises et des capitaux, pas la
libre-circulation des Ouïgours.





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