Décennie de l'intégration des Rroms : Geneva's Minor Swing

La Suisse ne compte pas au nombre des Etats européens qui ont proclamé les années 2003-2015 « décennie des Rroms ». C'est dommage : Une décennie, même de douze ans, ne serait pas de trop pour « intégrer » la principale, et la plus marginalisée, des minorités « ethniques » européennes. Hors d'un exercice européen dont la part autoproclamatoire et la part concrète restent à évaluer, Genève vient cependant d'y mettre son grain de sel -mais c'est du sel sur une plaie. Au nom de la protection de l'enfance, le Conseil d'Etat a décidé de frapper, bien sûr avec humanité mais tout de même là où ça peut faire mal, puisque la répression de la mendicité en tant que telle s'est avérée d'une absolue inefficacité, en sus d'être -mais on le savait déjà au moment même ou on en décidait- d'une parfaite absurdité. Et donc, la police est chargée d’interpeller et d’appréhender les mendiants accompagnés d'enfants ou les mendiants mineurs, de signaler ces cas au Service de Protection des mineurs (SPMi) et de conduire les mineurs avec ou sans leurs parents au sein de ce service, qui pourrait prononcer le retrait immédiat du droit de garde des parents sur l’enfant et le placement de celui-ci.

Nettoyage
La marginalisation des Rroms s'est considérablement renforcée après la chute du « communisme » en Europe centrale et orientale, et avec cette marginalisation, le fossé les séparant des populations non-Rroms. La plupart des enfants Rroms ne sont plus scolarisés, la plupart des parents n'ont pas de formation ni d'emploi stable. La libre-circulation des personnes impliquant la libre circulation des pauvres, les problèmes des Rroms des Balkans s'exportent en Europe occidentale avec les Rroms eux-mêmes mettant ainsi en évidence une situation ancienne. C'est cette évidence que les « lois anti-mendiants » et les opérations de « protection des enfants » rroms voilent. La quasi totalité des Rroms « genevois » ne sont que de passage à Genève. Ils ont cessé d'être nomades, mais sont contraints à rester des « gens du voyage » puisqu'ils n'ont ni le droit de s'établir chez nous, ni celui d'y travailler légalement. Si l'on tenait réellement à assurer à leurs enfants, et à leur assurer à eux-mêmes, les droits que l'on prétend assurer par des mesures policières et bureaucratiques, les premiers droits qu'il conviendrait de leur accorder sont la résidence et le travail légal. Mais ces droits sont vraisemblablement les derniers qu'on leur accordera. En attendant, les mesures prises à Genève obtiendront certainement le soutien d'une majorité de l'opinion publique. Comme l'étaient entre les années vingt et soixante du siècle passé, les opérations lancées par Pro Juventute contre les familles yenisch. « Nous formulons (...) le vœu que l’histoire sombre de la Suisse ne se répète pas », écrit l'association Mesemrom au Conseil d'Etat, en lui rappelant « les leçons de l’histoire », celles de « l’Oeuvre des enfants de la grande route » qui de 1926 à 1973 a sévi sous couvert, déjà, de protection de l'enfance. Comme les Yenisch hier, les Rroms aujourd'hui font tache. Et même en son promontoire occidental, nous sommes dans le pays du « propre en ordre ». Donc, on nettoie, mais avec componction humaniste. Et pourquoi pas sur un air de guitare manouche ? il y a cent ans naissait Django Reinhardt.


ASSOCIATION MESEMROM
4, rue Micheli-du-Crest,
1205 Genève
contact@mesemrom.org

Lettre ouverte au Conseil d’Etat de la République et Canton de Genève

Genève, le 21 janvier 2010

Monsieur le Président du Conseil d’Etat, Mesdames et Messieurs les Conseillers d’Etat,

La présente fait suite à la publication de votre communiqué de presse d’hier annonçant que le Conseil d’Etat charge la police d’interpeller et d’appréhender les mendiants accompagnés d'enfants ou les mendiants mineurs, de signaler ces cas au Service de Protection des mineurs (SPMi), de conduire les mineurs avec ou sans leurs parents au sein de ce service qui pourrait prononcer une clause péril, c'est-à-dire le retrait immédiat du droit de garde des parents sur l’enfant et le placement de celui-ci.
L’association MESEMROM entend dénoncer vivement ces mesures incisives et injustes prises à l’encontre des Rroms de passage à Genève avec leurs enfants.
Nous nous indignons que le Conseil d’Etat n’ait pas tiré les leçons de l’histoire en marchant dans les pas de Pro Juventute, plus précisément dans ceux de l’Oeuvre des enfants de la grande route qui a sévi de 1926 à 1973.
Est-il besoin de rappeler que sous le couvert d’une motivation sociale, des centaines d’enfants tziganes ont été, à l’époque, arrachés à leur famille et placés dans des familles d’accueil. Les activités de l’Oeuvre des enfants de la grande route ont unanimement été qualifiées par la suite comme étant un génocide culturel.
Nous déplorons aussi que cette décision du Conseil d’Etat ait été prise à la hâte et sans aucune concertation avec les acteurs de la société civile proches de la population visée.
Partant sans doute d’un bon sentiment, elle heurte cependant le sens commun dans la mesure où elle revient à une nouvelle mesure discriminatoire et arbitraire frappant une population vivant, faute d’interventions nationales et internationales efficaces, dans des conditions de précarité et de misère extrêmes.
Nous rappelons que les Roms mendiant à Genève ne séjournent dans notre ville que pour une durée très limitée. S’ils vivent sans logement et sans emploi, ce n’est certes pas par choix délibéré. L’émigration, assortie de la mendicité, constitue un acte de survie en réponse aux discriminations (dont celle de l’accès au marché du travail) dont sont victimes les Roms, notamment en Roumanie.
C’est dans le contexte des instructions que vous avez données que ce matin, à 6 h 30, des policiers du poste de police de la Servette sont intervenus à l’Armée du Salut et ont emmenés trois enfants âgés de 9, 6 et 3 ans, alors qu’ils dormaient et se trouvaient en sécurité avec leur mère.
Malgré nos interventions tout au long de la journée, nous n’avons pas pu savoir ce qu’il est advenu tant de cette maman que de ses enfants, alors que leur père est au désespoir et que nous ne pouvons répondre à ses questions légitimes.
De manière plus générale et forts d’une vision pragmatique, nous demandons aux autorités genevoises de préciser le but réellement visé – qui ne saurait être un nouveau moyen de tenter de les exclure de notre ville - et d’exposer la suite des mesures qu’elles proposent, celles-ci ne pouvant se résumer à appréhender et à retenir/détenir enfants ou parents.

Si nos autorités souhaitent, avec un certain angélisme, assurer des conditions de vie et une éducation appropriée à ces enfants, il conviendra de leur accorder un droit de séjour à long terme, de même qu’à leurs parents, ce qui présuppose aussi des logements et des possibilités de travail.

Une fois de plus, nous attirons l’attention des autorités sur le fait que des mesures coercitives, voire des sanctions pénales, n’apporteront en aucun cas une solution à une problématique liée à la misère, qui ne peut être résolue qu’avec une collaboration active et positive, sur place, des autorités des pays d’origine des Rroms se trouvant à Genève.

Ce n’est que par des interventions politiques efficaces, voire des appuis financiers, sur place, visant à l’éradication des injustices sociales et des discriminations dans ces pays que les autorités genevoises contribueront à ce que les enfants Rroms puissent, à terme, être scolarisés et qu’ils puissent bénéficier des bienfaits de l’éducation.

Nous formulons enfin le vœu que l’histoire sombre de la Suisse ne se répète pas à l’occasion de cette dernière prise de position qui déploie des effets d’une injustice inacceptable et dont les aspects pratiques et le suivi à long terme nous laissent pantois.

Vous remerciant de l’attention que vous porterez à la présente, nous vous prions de croire, Monsieur le Président du Conseil d’Etat, Mesdames et Messieurs les Conseillers d’Etat, à l’assurance de notre haute considération.


Pour MESEMROM


Doris Leuenberger, Membre du comité
Dina Bazarbachi, Présidente






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