un geste pour les grands magasins...

Le projet de loi concocté par les commis politique du patronat du commerce de détail afin d'étendre hors de nécessaire les heures d'ouverture des magasins (et donc les heures de travail de leur personnel), a été renvoyé en commission. S'il en ressort tel qu'il y est entré, un référendum sera lancé contre une loi qui péjore les conditions de travail (déjà assez calamiteuses) des salariés de base du secteur, piétine les négociations pour le renouvellement de la convention collective, et ne profitera qu'aux grandes surfaces et aux centres commerciaux -les petits commerces ne réalisent lors des « nocturnes » que des chiffres d'affaires inférieurs à ce qu'elles leur coûtent, et souffrent bien plus de la crise que les grands distributeurs, qui, eux, se portent très bien (le chiffre d'affaire de Manor a augmenté de 3,5 % entre 2007 et 2008, le bénéfice de la Coop a atteint le record de 390 millions de francs, et celui de la Migros a atteint 701 millions, pour un chiffre d'affaire, lui aussi record, de près de 26 milliards, en hausse de 13,5 % en un an. ). On nous appelle à « faire un geste pour les commerçants genevois » ? D'accord. Mais précisons : pour les grands commerçants genevois. Et comme répondrait à notre place Sacha Guitry : « Un geste, mais lequel ? Ne nous tentez pas, cruels !»...

Ouvrir plus longtemps pour rien ?
Si l'extension de l'heure d'ouverture des magasins répondait à un « besoin » de clients incapables de faire leurs courses entre 8 heures et 19 heures, les nocturnes et les prolongations actuelles auraient été un succès; or elles sont un échec. Il est vrai que, comme le reconnaissait le directeur de la Chambre de commerce genevoise, il ne s'agit pas de répondre à un besoin, mais de le créer : « notre souhait est bel et bien d'ancrer de nouvelles pratiques dans la vie des citoyens ». Bref, de les rendre accros : raisonnement de dealer, au strict sens du terme. On ne sait d'ailleurs pas très bien pourquoi M. Jeannerat évoque des « citoyens » alors qu'il ne pense qu'à des consommateurs, et des consommateurs de n'importe quoi, pourvu qu'ils consomment. Et paient. Selon un sondage commandité par le patronat du secteur et commenté avec gourmandise par Entreprise Romande, les Genevois « veulent des commerces ouverts plus longtemps » parce que « 83 % de la population est contrainte de faire des achats alimentaires après le travail » -mais contrainte par qui, au juste, sinon par ses horaires du travail, c'est-à-dire ses patrons ? Et de quelle contrainte parle-t-on, dans un canton où on peut faire ses achats alimentaires à toute heure tous les jours, puisque les magasins y sont ouverts cinq jours sur sept de 8 à 19 heures, de 8 à 18 heures le sixième jour, des dizaines de magasins de dépannage sept jours sur sept, et certains 24 heures sur 24... Il n'est évidemment venu à l'idée ni des sondeurs, ni des commanditaires du sondage, ni des commentateurs patronaux de ses résultats, que réduire le temps de travail de tous les actifs permettait d'arriver au même résultat qu'augmenter le temps de travail des actifs du secteur du commerce, et d'y arriver à moindre coût social et environnemental (plus longtemps les magasins sont ouverts, plus ils consomment d'énergie)... L'extension des heures d'ouverture des magasins ne répond à aucun besoin social ni à aucun besoin économique des petits commerces, mais uniquement à la logique de concurrence entre les grands magasins genevois et les grands magasins français voisins. La majorité du parlement a donc bien fait d'envoyer ce projet en commission. Et serait bien inspirée de l'y laisser le plus longtemps possible.

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