Egalité : la longue marche et les rebroussements

" Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche "

« Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche », proclame la troisième marche mondiale des femmes. Un siècle, un demi-siècle, un lustre, trois anniversaires : Il y a cent ans, à l'initiative de l'organisation des femmes de l'Internationale ouvrière et socialiste (la IIe Internationale), se décidait la célébration annuelle d'une journée « pour le droit de vote des femmes, l'égalité entre les sexes et le socialisme » -l'actuelle « journée des femmes ». Il y a cinquante ans, les femmes genevoises obtenaient (grâce au vote de la Ville de Genève, contre la quasi totalité des communes encore campagnardes et contre la droite traditionnelle) le droit de vote et d'éligibilité. Il y a cinq ans, les étrangères et les étrangers obtenaient le droit de vote (mais pas d'éligibilité) au plan municipal à Genève, mais pas au plan cantonal, et encore moins au plan fédéral. La longue marche vers le suffrage universel, ni la non moins longue marche vers l'égalité des droits entre femmes et hommes (au fait, ces deux marches n'en font qu'une) ne s'arrêteront pas là où nous en sommes, à l'un de ces moments d'une marche où, sans renoncer à la poursuivre, et précisément parce que nous n'y renonçons pas, nous avons à nous garder de revenir sur nos pas, malgré, à gauche, une certaine lassitude face aux exigences politiques qu'on s'est à soi-même posées et à la nécessité de maintenir au plus haut la capacité de se mobiliser contre les remises en causes des droits conquis : tenir le cap de l'égalité est une exigence qui menace à tout moment de se dissoudre dans des calculs à court terme ou les réflexes reptiliens.

Moitié du ciel, moitié du chemin
Politiquement, le féminisme est le champ d'une contradiction : celle qui oppose un modèle qui constitue un (au masculin exclusif, dans un premier temps) citoyen abstrait, défini uniquement par ses droits politiques et indifférent à son sexe, son âge, son statut social et sa culture, à un modèle fondé sur un citoyen-ne concret-e, inséparable de sa réalité de genre, de classe, d'origine, de génération. Le/la citoyen-ne abstrait-e constitue le processus démocratique (le processus politique ne pouvait être démocratique tant que la différence de sexe se traduisait par une différence de droits politiques) ; pourtant, ce processus n'est porté que par des citoyen-ne/s concret-e/s. En d'autres termes, l'abstraction citoyenne est une condition de l'émancipation politique, mais la prise en compte de la réalité du citoyen et de la citoyenne concrets est une condition de la concrétisation de cette émancipation. Dans un premier temps, les féministes ont dû nier politiquement la différence des sexes pour obtenir des droits égaux aux hommes (qu'on soit homme ou femme, on doit avoir les mêmes droits politiques -le genre ne doit donc pas être un critère discriminant) ; mais dans un deuxième temps, elles ont dû affirmer cette différence pour obtenir d'être respectées non plus en tant que citoyens abstraits, mais en tant que citoyennes concrètes, que femmes n'ayant plus à se nier comme femmes pour pour gagner leur citoyenneté. Les femmes gagnent toujours moins que les hommes, et la situation ne s'améliore pas (ellle aurait même, à en croire la dernière enquête de L'Office fédéral de la statistique sur la structure des salaires, tendance à se détériorer, puisqu'entre 2006 et 2008 l'écart salarial en défaveur des femmes est passé de 18,9 à 19,3 %). Elles sont plus nombreuses que les hommes à être sans emploi, mais moins nombreuses à bénéficier d'indemnités chômage. La charge du travail domestique repose toujours essentiellement sur elles, et péjore leurs droits sociaux. Politiquement, elles sont toujours très minoritaires dans les parlements et les exécutifs sauf exceptions dues à l'instauration par les partis de gauche et les Verts de la règle de la parité des genres sur les listes électorales, Elles votent moins, élisent moins, sont moins souvent candidates, sauf lorsque leurs partis s'obligent à la parité des candidates et des candidats (dans le champ politique, la parité des genres sur les listes électorales est un instrument encore irremplaçable pour forcer à l'égalité réelle, concrète, de formations politiques qui, même à gauche, n'y sont pas spontanément acquises). Les femmes ont acquis des droits, mais pas encore les moyens de ces droits. Dans la longue marche vers l'égalité, la « moitié du ciel » n'a encore fait que la moitié du chemin.

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