« Identité nationale » et défouloirs racistes :

Un refus politicien du politique

Annonçant l'organisation en Italie, l'automne prochain, d'une « Conférence internationale sur la ville interethnique », le sous-secrétaire d'Etat italien aux Affaires étrangères, Enzo Scotti, proclame dans la « Tribune de Genève » que l'Italie « montre le chemin vers la cité interethnique ». Un chemin que même un sous-fifre de Berlusconi devrait connaître : « interethniques », les villes le sont depuis qu'elles existent. Mais le sous-secrétaire d'Etat italien n'est pas seul à touiller la marmite identitaire : En France, le débat sur l'« identité nationale » tourne au défouloir raciste, et on sait l'usage que font des nostalgies tribales nos propres identitaires rupestres. Regarder le monde social à travers des lunettes raciales, ethniques, identitaires, c'est toujours refuser de le voir tel qu'il est, en même temps que refuser de se voir soi-même tel qu'on est. La « race », l'« ethnie », l'« identité », la religion, sont des réalités construites, parfaitement arbitraires mais fort utiles, non à la compréhension de la réalité, et moins encore à son changement, mais à son déni. En somme, c'est le contraire de la politique, si on admet de la politique la définition qu'en donnait Hannah Arendt : « ce qui traite de la communauté et de la réciprocité d'être différents ».

La souche, les racines, les parasites
Avoir des « racines », être « de souche », ne signerait que l'étrange ambition d'un retour à l'état végétal si un minimum de mémoire historique ne nous rappelait que de vraies pathologies s'y dissimulent. Lorsqu'un gouvernement, comme le français, organise lui-même la désignation de l'Autre (de l'immigrant, évidemment, mais pas seulement) comme ennemi de l'intérieur, ce gouvernement n'innove guère : il y a une septantaine d'années, l'exposition « Le Juif et la France » donnait un la auquel le défouloir mis en place par Eric Besson ne met guère qu'un bémol. Ces remugles sont ceux d'un égarement, au strict sens du terme, qui désigne la situation de celui (ou celle) qui ne sait plus où il (elle) est, ni qui il (elle) est, et ne trouve d'autre moyen pour le savoir que se définir par opposition à un (une) « autre » qui soit assez proche pour qu'on puisse le (la) désigner facilement. Qui sommes-nous ? nous sommes ceux qui ne sont pas les autres. Qu'est-ce qu'être français, se demande-t-on dans le débat bessonien sur l'« identité nationale » française ? Qu'est-ce qu'être un « vrai Suisse » se demande-t-on dans les antres identitaires helvétiques ? évidemment, être de nationalité française (ou suisse) ne suffit pas, il faut l'être « de souche». Ce qui ne veut rien dire d'autre que ceci : l'autre doit être comme on est soi-même. Peu importe qu'il soit de la même nationalité que nous, né chez nous de parents nés chez nous, sa « souche » n'est pas la bonne s'il a la peau plus foncée ou plus claire que la nôtre, s'il est musulman dans ce pays chrétien (ça fonctionnait aussi avec les juifs il y a septante ans, avec les protestants il y a deux siècles et demi dans les pays catholiques, et avec les catholiques dans les pays protestants). Et ne croyez pas, bonnes gens (de souche) que cette connerie ordinaire des heures de fermeture du Café du commerce ne frappe que les « gens de peu », qu'elle ne parasite que la « souche » européenne : la « racialisation » ou l'« ethnicisation » du discours politique, sur quelque référence qu'elle se fasse (la couleur de la peau, la religion, l'origine géographique) est parfaitement indifférente à la « race » , l'«ethnie» ou « l'identité » de qui s'y adonne et de qui elle le distingue. L'universalité même de la pathologie identitaire la qualifie comme pathologie.

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