Prisons genevoises : empiler, puis bourrer

Curabilis, Champ-Dollon, La Clairière, La Brenaz
Prisons genevoises : empiler, puis bourrer

Le 3 novembre a été posée la première pierre («... et sur cette pierre je bâtirai ma prison... ») de « Curabilis », établissement concordataire romand de 92 places destinées aux condamnés psychiquement atteints et considérés comme dangereux. Comme la Brenaz, comme la Clairière pour les mineurs, comme Champ-Dollon elle-même, le destin de Curabilis est tout tracé : être remplie en quelques années, déborder ensuite. Sachant que chaque fois que l'on créée des places de détention supplémentaires, elles sont immédiatement occupées, qu'il ne faut que quelques mois ensuite pour qu'elles soient suroccupées, que la prison qu'on voulait « désengorger » s'engorge à nouveau, et qu'il y a déjà à Genève deux fois plus de détenus que de places de détention, combien de temps faudra-t-il pour que Genève, à force d'empiler des prisons pour les bourrer ensuite, compte une proportion de détenus par rapport à sa population équivalant à celle du Texas ou de la Corée du Nord ?

Zonzons
L'abus genevois de la détention préventive explique en grande partie le surpeuplement de Champ-Dollon : si en moyenne suisse moins d'un tiers des détenus le sont en préventive, à Genève la préventive constitue la moitié de la population carcérale. Champ-Dollon est un établissement de détention préventive (mais dont un quart des détenus sont tout de même des condamnés, qui n'ont rien à y faire), calibré pour un usage normal de la détention préventive, pas pour l'usage pulsionnel auquel on se livre dans notre belle République.Tous les quinze jours, on nous annonce que la population de Champ-Dollon a battu un record, atteint un « pic », touché le plafond du supportable. Sur quoi, on se prépare à rehausser le plafond, à battre un nouveau record, à gravir un nouveau pic. Une prison est pleine ? on la bourre, en attendant d'en construire une nouvelle, qu'on bourrera aussi, et dans laquelle on constatera ce que l'on constate à Champ-Dollon : des cellules individuelles occupées par trois détenus, des prisonniers dormant sur des matelas posés par terre, des services débordés, un personnel de surveillance sur les nerfs, un service médical épuisé, une montée constante de la violence entre détenus et à l'égard du personnel... La seule réponse que Genève a jusqu'à présent apporté à sa surpopulation carcérale a été de créer de nouvelles prisons. A la place des anciennes et en plus des prisons existantes. Quinze jours après avoir été ouverte, la nouvelle annexe de Champ-Dollon, la Brenaz était pleine. Et Champ-Dollon restait surpeuplée, jusqu'à atteindre un taux de remplissage de plus de 200 % début février (556 détenus pour 270 places). La Conseillère d'Etat Isabel Rochat et le directeur de l'Office pénitentiaire, Georges Lapraz, ont annoncé que pour désengorger Champ Dollon on allait empiler à côté de la prison des modules préfabriqués capables d'accueillir une centaine de détenus, et qui participeront de cette fuite en avant vers toujours plus de prisons toutes remplies à ras bord, sans que l'on ait pris la peine de chercher à les vider plutôt qu'à les multiplier. On se consolera de cette obstination dans l'erreur en rappelant que « Curabilis » sera un établissement spécialisé pour délinquants « mentalement anormaux », ce qui nous confirme que la déliquance n'est pas a prori une « anormalité » mentale et qu'il y a donc une délinquance « mentalement normale ». Nous voilà donc rassurés sur nos cas personnels, à défaut de l'être sur les effets de la politique pénitentiaire genevoise...

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