1er Mai : Fêter les travailleurs, pas le travail...

Ce 13 Floréal (samedi 1er mai dans le calendrier vulgaire), nous serons dans la rue, défilant avec quelques milliers d'autres, à l'occasion de cette fête dont Eric Hobsbawm rappelait fort justement qu'elle était, de toutes celles, internationales et nationales, la seule qui ait décidée « d'en bas », à l'initiative de la plèbe, et non de l'Eglise ou de l'Etat. Mais que diable fête-t-on le 1er mai ? Le travail, ou les travailleurs ? Ce jour fut proclamé par l’Internationale ouvrière comme le jour des travailleurs, la fête des travailleurs, non comme le jour et la fête du travail. Il y a là plus qu’une nuance : on ne célèbre pas ce à quoi on est condamné, on célèbre ce qu’on est. Que la fête des travailleurs ait été transformée en fête du travail par les Etats, et d’abord par les Etats fasciste, ne relève pas du hasard, mais de la nécessité politique : celle de la mise au pas des travailleurs. A contrario, le refus du salariat, le refus du travail organisé et déterminé par d'autres que ceux qui le font, le refus, par conséquent, de la chefferie, sont fondateurs de tout projet socialiste -que les socialistes l'admettent et s’en souviennent ou non. La lutte contre l'ordre du monde commence par la lutte contre le travail produisant cet ordre et que cet ordre en retour organise.

Résistance

Ce Premier Mai 2010 est placé, à Genève, sous le mot d'ordre de la «résistance». C'est un beau mot, parce que ce n'est pas un mot d'ordre mais un mot de désordre. Et que ce à quoi nous avons à « résister », c'est aussi à la dilution de ce que notre mouvement fut dans ce qu'il s'était voué à combattre. Il fut un temps, celui de sa constitution, où le mouvement ouvrier se dressait contre l'Etat, contre le salariat, contre la propriété privée. Puis il fut un autre temps, celui de ses succès, de ses acquis, de ses victoires : Il a renforcé l'Etat, diffusé la propriété privée et généralisé le salariat, pérennisé ce qu’il voulait abolir, renforcé ce qu'il voulait dépasser légitimé ce qu'il dénonçait -bref, socialisé le capitalisme. Mais ce qui a été gagné sur la pauvreté matérielle a été payé en pauvreté essentielle : le capitalisme socialisé a accordé à ses pauvres le droit de ne plus mourir de faim en faisant payer ce droit à ses « classes moyennes » de la certitude, sinon de mourir d'ennui, du moins d'incarner l'ennui. Comme une tumeur, le salariat (qui est le paiement, non du produit du travail, ni du travail lui-même, mais du temps passé à travailler sous les ordres d’autrui) a essaimé en métastase, et pourrissant le travail a pourri semblablement l'engagement militant, temps dont on négocie désormais aussi le prix, valeur d'usage submergée elle aussi par la valeur d'échange. Dès lors que « tout travail mérite salaire » (sans doute comme dans un bordel toute passe petit cadeau ?), toute militance dans les partis traditionnels et dans les organisations intégrées, exige son tribut : un siège, un poste, un titre, une rémunération. De cette vie-là aussi, la « vie politique », il convient de changer, et c'est aussi à sa mercantilisation qu'il convient de «résister». « Changer la vie », ce vieux mot d'ordre rimbaldien si souvent réduit à « se laisser changer par la vie », ce n’est pas changer de mode de vie, mais changer le contenu même de la vie, ce qui ne saurait sans trahir se réduire à en changer l'emploi. Défendre les travailleurs, ce n'est pas défendre ce que le capitalisme a fait du travail, et défendre le droit au travail, ce n'est pas renoncer à défendre le droit à la paresse.

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