Elections régionales françaises : De la « gauche plurielle » à la « gauche solidaire » ?

Les résultats des élections régionales françaises sont nets : très large victoire de la gauche en métropole, déroute de la droite, résurrection du Front National, marginalisation de l'extrême-gauche (NPA, LO), partie en ordre dispersé. La gauche garde toutes les régions conquises en 2004 et y ajoute, sans majorité absolue, la Corse. Outre-mer elle perd la Guyane et la Réunion (du fait de la division de la gauche). La droite ne conserve en métropole que l'Alsace (mais Mulhouse, Colmar et Strasbourg sont à gauche), et tous les ministres en campagne ont été battus. On relèvera l'inhabituelle objectivité des commentaires des vainqueurs et des vaincus, la gravité du ton d'une droite reconnaissant sa défaite le disputant à la modestie du ton d'une gauche ne tirant aucun triomphe de sa victoire, mais reconnaissant que beaucoup de travail politique reste à faire, pour passer, comme l'y invite Martine Aubry, de feue la « gauche plurielle » à une nouvelle « gauche solidaire » . Pour le reste, d'entre les enseignements du scrutin français, les moindres ne sont pas ceux des vertus de l'unité entre les différentes forces de gauche (Verts compris), et des conséquences de l'absence d'unité entre les différentes forces de la « gauche de la gauche ». Jean-Jack Queyranne, vainqueur en Rhône-Alpes, résume : « la gauche est toujours plus forte quand elle est unie » . Unie, pas uniforme : il faut être « capables de proposer chacun un projet, puis de se rassembler sans nier notre diversité », ponctue la Verte Cécile Duflot. A contrario, la «gauche de la gauche » est toujours insignifiante, quand elle est dispersée. Le premier ou la première qui y voit une subtile allusion à la situation genevoise a gagné.

Vive la région... et vive la commune !

La France n'a pas basculé à gauche : elle a voté pour l'opposition, et la droite étant au pouvoir central, l'opposition était de gauche. Reste qu'on se souvient que la gauche avait déjà remporté largement des régionales en 2004, pour être ensuite nettement battue à la présidentielle de 2007, le PS passant les deux années suivantes à organiser un pitoyable combat des chef-fe-s. Dès lors, la gauche a de nombreuses questions à se poser, et de nombreux problèmes à résoudre : quelles alliances ? Quel-le candidat-e pour le PS, seule formation de gauche capable de remporter une élection présidentielle ? quel contenu programmatique à l'alliance entre le PS et les Verts ? Dans l'immédiat, les régionales françaises nous semblent confirmer ce que nous avions pu écrire des cantonales genevoises d'il y a six mois : en temps de crises multiples, « les gens » votent pour l'opposition, qu'elle soit de droite ou de gauche, ou même d'extrême-droite ou d'extrême-gauche si aucune autre opposition ne paraît suffisamment crédible en tant qu'opposition, Le paradoxe français, c'est que l'opposition nationale (la gauche) est depuis 2004 la majorité régionale. Mais ce paradoxe n'entame pas la logique de l'hypothèse : la gauche est dans l'opposition nationale, les régions sont de gauche et sont donc des bastions de l'opposition même si, dans chacune d'entre elle (sauf l'Alsace), c'est la droite qui est l'opposition. Nous avions connu pareil paradoxe à Genève, lors du gouvernement monocolore, avec la contradiction d'une majorité municipale de gauche en Ville, et d'un gouvernement cantonal de droite; au terme de cette expérience intéressante, la gauche gagnait les élections cantonales, après quatre ans pendant lesquels la Ville a été dans l'opposition au canton. Ce vote pour l'opposition, c'est évidemment celui qui a manqué au PS il y a six mois -faute pour le PS de se définir lui-même comme une force d'opposition. Et c'est ce vote que le PS doit maintenir, renforcer ou regagner dans un an, lors des Municipales. Genève est affublée d'un gouvernement de droite, et du parlement le plus à droite qu'elle ait connu depuis 1941... Mais la Ville est de gauche, et les grandes communes le sont, ou peuvent l'être, ou le redevenir. Il ne dépend donc que de la gauche en général, de chacune de ses composantes et du PS en particulier, d'en assumer la conséquence politique : faute d'opposition parlementaire crédible, ce sont les communes urbaines qui doivent être l'opposition au gouvernement et au parlement cantonal. Et ça tombe bien : en 2011, année des élections municipales genevoise, on célébrera les 140 ans de la Commune de Paris...

Petit retour détaillé sur le deuxième tour des élections régionales françaises :
en métropole, la gauche engrange 54,11 % des suffrages, la droite démocratique 35,38 %, le Front National 9,40%. La gauche a progressé de trois points et demi depuis 2004, la droite démocratique tombe à son niveau le plus bas depuis 1958. Eliminée du second tour, la « gauche de la gauche » (se présentant sur deux listes séparées, celle du Nouveau Parti Anticapitaliste et celle de Lutte Ouvrière) était également tombée au premier tour à un niveau très bas, inférieur à 5 %, le NPA dépassant LO d'un ou deux points selon les régions. L'abstention a un peu reculé entre les deux tours de l'élection, mais elle reste inhabituellement élevée pour la France (en fait, elle se situe à un niveau helvétique tout à fait habituel, et même honorable, de 48,9 %). Elle dépasse les 50 % dans cinq régions, dont Rhône-Alpes, et les 65 % dans plusieurs villes, notamment des villes de la couronne des métropoles régionales ou de Paris. 58 % des femmes se sont abstenues, contre 49 % des hommes. 72 % des électrices et électeurs de moins de 35 ans se sont abstenus, contre 38 % des électrices et électeurs de plus de 65 ans. 69 % des ouvriers et 64 % des employés subalternes se sont abstenus, contre 44 % des cadres et des professions libérales. 58 % des électrices et électeurs de Sarkozy en 2007 se sont abstenus, contre 42 % de celles et ceux de Ségolène Royal. La gauche a gagné parce qu'elle s'est mobilisée, mais la mobilisation de la gauche n'a été ni celle des jeunes, ni celle des « classes populaires », mais celle d'une improbable « classe moyenne » craignant précisément de se retrouver dans les «classes populaires ». La peur fait généralement voter à droite ? Pas forcément. En tout cas, pas la peur sociale.

En France voisine de la Suisse romande, la gauche arrive en tête dans les deux régions de Rhône-Alpes et de Franche-Comté, dans tous les départements, et dans toutes les villes.
En Franche Comté, elle obtient 47.61 % des suffrages au deuxième tour, contre 38,36 % à la droite et 14,23 % à l'extrême-droite. Elle atteint 48,11 % dans le Doubs et 48,24 % dans le Jura. La gauche de la gauche (NPA + LO) avait obtenu 4,36 % au premier tour dans la région, 4,09 % dans le Doubs et 5,41 % dans le Jura.
En Rhône-Alpes, la gauche obtient la majorité absolue (50,76 %) au second tour, contre 34,02 % à la droite et 15,23 % au Front National.
La gauche pèse 47,28 % des suffrages dans l'Ain, où la gauche de la gauche totalisait 3,50 % des suffrages au premier tour. La droite n'a obtenu que 36,07 % des suffrages, et le Front National 16,65 %
En Haute-Savoie, terre traditionnellement démo-chrétienne, mais où le Modem de François Bayrou n'a pas passé la barre des 5 %, la gauche a obtenu 44,96 % des suffrages, contre 40,73 % à la droite et 14,31 % au Front National. La gauche de la gauche atteignait 3,44 % au premier tour.
La gauche a atteint 49,59 % des suffrages à Annecy, 51,93 % à Annemasse (ou l'abstention a dépassé les 63 %) et 49,11 % à Thonon. La gauche de la gauche (NPA+LO), n'atteint dans aucune de ces trois villes le 5 % des suffrages.


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