Judéophobie et islamophobie : Les habits neufs de l'antisémitisme

La « Coordination intercommunautaire contre l'antisémitisme et la diffamation » a répertorié 153 actes « antisémites » en Suisse en 2009. La CICAD ne se préoccupant pas plus de la version islamophobe de l'antisémitisme que Dieudonné de sa version judéophobe, on ne s'étonnera pas de ne trouver dans sa liste aucun acte islamophobe, pas même l'interdiction des minarets et les affiches udécistes, reprenant contre les musulmans la rhétorique graphique des affiches antijuives des années trente. La CICAD est d'ailleurs assez aventureuse en considérant comme une manifestation d'antisémitisme « le fait de dresser des comparaisons entre la politique israélienne et celle des nazis ». Or si de telles comparaisons relèvent du crétinisme historique, elle ne relèvent pas de l'antisémitisme. A force de crier au loup sans que le loup y soit, plus personne ne prête l'oreille au cri lorsque le loup y est : dénoncer de l'antisémitisme là où il n'est pas finit par empêcher de le combattre là où il est, ici et maintenant, non plus seulement dans le persistance de l'antijudiaïsme mais dans la progression de l'ismamophobie. L'antisémitisme n'a pas disparu, il a seulement changé de « sémites » .

Etre par l'autre

L'image du juif ploutocrate, cosmopolite et bolchévisant a laissé place à celle du musulman intégriste et terroriste, le Protocole des Sages de Sion à Al Qaïda et un faux à un fantôme ? Cela ne rend pas le vieil antisémitisme juif moins dangereux -« le ventre est encore fécond d'où est surgie la bête immonde » -, ni notre vigilance à son égard moins nécessaire, mais cela rend nettement moins crédibles ceux qui réduisent le combat contre l'antisémitisme à la prédication d'une solidarité obligatoire, non avec le peuple juif, mais avec le gouvernement de l'Etat d'Israël, quel que soit ce gouvernement, et quelle que soit sa politique. Cette hémiplégie ne vaut pas mieux que celle qui, au nom du soutien au peuple Palestinien, fait du Hamas un mouvement de « résistance » et de ses kamimazes des «martyrs». Mais en passant de la judéophobie à l'islamophobie on n'est pas sorti de l'antisémitisme et ce que suggérait Sartre en 1946 dans ses « Réflexions sur la question juive » vaut pour la nouvelle islamophobie : le «juif» de l'antisémite est une créature de l'antisémite, le «musulman» de l'islamophobe une créature de l'islamophobe. La théorie de l'« être par l'autre » que Sartre applique à la « question juive » s'applique aussi bien à la « question musulmane » et il suffit de proclamer que le « juif » ou le « musulman » nous est « étranger par nature » pour que les deux « questions » n'en fassent plus qu'une seule et que la réponse à y donner bute sur le meme obstacle : « Le démocrate a fort à faire : il s'occupe du juif quand il en a le loisir; l'antisémite n'a qu'un seul ennemi, il peut y penser tout le temps : c'est lui qui donne le ton » écrivait Sartre il y a plus de soixante ans. Le démocrate a toujours fort à faire: il s'occupe de l'étranger ou du musulman quand il y est requis; le xénophobe et l'islamophobe s'en occupent obsessionnellement, n'ayant pour unique objet de leur ressentiment que l'étranger, le musulman, le musulman étranger. Le racisme consiste en une valorisation généralisée et définitive de différences réelles ou fantasmatiques entre groupes humains, sur lesquelles celui qui postule ces différences construit une hiérarchie valorisant son propre groupe humain et le valorisant lui-même, en dévalorisant d'autres groupes humains, ce qui légitime les agressions commises contre eux. Eriger des groupes humains différents (par leur culture, leur comportement, voire leur apparence) en races distinctes et hiérarchisées (il y a des « races supérieures » et « inférieures ») : Avec l'islamophobie comme avec la judéophobie on est en dans ce mécanisme, à la seule nuance près (puisqu'on a fini par admettre que depuis la disparition du cousin Néanderthal il n'y a plus qu'une seule race humaine) qu'on ne parlera plus de « race juive », et pas de « race islamique », Qu'importe : à défaut de «race», la religion fera l'affaire (quoi qu'en dise le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, ce ne sont jamais les religions que l'on « diffame », mais toujours leurs croyants). Et si elle ne fait pas l'affaire, on trouvera autre chose, n'importe quoi, pourvu que cela permettre d'« être par l'autre » quand on est incapable d'être par soi.


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