« Renvoi des criminels étrangers » : D'une pierre, deux mauvais coups



La majorité du groupe socialiste au Conseil national a donc soutenu, en se bouchant le nez d'une main et de l'autre faisant le poing dans sa poche, le contre-projet, concocté par la droite pédécé et radelibe, à l'initiative UDC « pour le renvoi des criminels étrangers ». Et ce vote socialiste est d'abord une ânerie, ensuite une compromission. Une ânerie, parce que le calcul tactique sur lequel il se fonde ( « si l'initiative vient seule devant le peuple elle sera acceptée, alors que si on lui oppose un contre-projet, il lui sera préféré ») relève d'un pari stupide; une compromission, parce que rien ne distingue fondamentalement le contre-projet de l'initiative, si ce n'est sa cohérence formelle et sa compatibilité avec le droit international. Une majorité de socialistes a donc choisi d'opposer à une initiative xénophobe et inapplicable, une loi tout aussi xénophobe, mais qui pourra être appliquée. Tous les élus du PS n'ont cependant pas tenu se raisonnement : plusieurs se sont abstenus, dont leur président, Christian Levrat, et une dizaine ont voté contre les deux textes, et ce faisant défendu une position socialiste sans la diluer dans des calculs tactiques hasardeux. Honneur à eux. Car le vote du Conseil national fait d'une pierre deux mauvais coup : il rend possible, puisque légale, des pratiques parfaitement discriminatoires, et il légitime, sur le fond, le discours tenu par l'extrême-droite, les partisans du contre-projet sachant eux-mêmes que ce discours est fondé sur la manipulation des peurs, le trucage des chiffres et l'exploitation des préjugés tribaux.

Quel torchon choisir pour drapeau ?

Unanime dans la dénonciation offusquée des campagnes xénophobes de l'UDC, la gauche ne l'est plus, au parlement, dans l'opposition à ce que ces campagnes expriment. Car le contre-projet adopté par le Conseil national à l'initiative UDC des «moutons noirs» ne diffère que par les nuances du texte auquel il sera opposé, et auquel il n'est alternatif que dans la mesure où il est applicable, alors que l'initiative ne respectait ni l'unité de la matière, ni l'unité de la famille, ni la Convention des droits de l'homme, qu'elle amalgamait des délits mineurs et des crimes graves et qu'elle traitait de la même manière un touriste et un étranger de la troisième génération... Tout ce que la droite a réussi à dire pour convaincre une majorité de socialistes de soutenir son contre-projet à l'initiative de l'extrême-droite se résume dans ces mots du radical genevois Hiltpold : « ce texte est moins pire que celui de l'initiative». L'inquiétant n'est pas la vacuité d'une telle argumentation (après tout, le fascisme était aussi « moins pire » que le nazisme...), mais qu'elle ait suffi à convaincre des hommes et des femmes de gauche de voter un texte gerbatoire pour l'opposer à un texte nauséeux, l'un et l'autre fondés sur le sentiment qu'un crime est plus grave lorsqu'il est commis par un étranger que lorsqu'il est commis par un Suisse, et qu'il convient donc de le sanctionner par une double peine quasi automatique, applicable aux seuls étrangers, sans faire de différence entre ceux qui sont nés ici et ceux qui y ont débarqué deux heures avant de commettre un crime. Choisir entre la peste et le cholera, c'est encore choisir entre deux maladies. On n'en est même pas là : l'initiative et le contre-projet portent le même bacille -il est un peu moins actif dans le second que dans la première, c'est tout. Pour le reste, la maladie est la même et on est, dans les deux projets, face aux mêmes mensonges et aux mêmes fantasmes, auxquels on donne les mêmes réponses mêmement imbéciles : la nationalité est un élément déterminant de la propension à la criminalité (or c'est faux : ce sont l'âge, le sexe et le niveau socio-culturel qui sont déterminants) l'insécurité s'est accrue dans ces dix dernières années (or c'est faux : elle s'est globalement stabilisée, et pour les crimes les plus graves, réduite)... « C'est une couleuvre qu'on nous a demandé d'avaler », a soupiré le socialiste bernois Stöckli, en se trompant de reptiles : une couleuvre, au moins, n'est pas venimeuse. Quel qu'ait été le vote de la majorité des socialistes aux Chambres fédérales, et quelles qu'en aient les raisons, au moment du scrutin populaire le PS devra appeler à refuser les deux textes proposés. Que les xénophobes se débrouillent entre eux et avec leurs suiveurs bourgeois pour choisir de ces deux torchons lequel va leur servir de drapeau.

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