La Suisse et l'Europe : Un cul-de-sac à cinq voies

Le Conseil fédéral doit rendre public un rapport sur les relations de la Suisse et de l'Europe. On hésite même à espérer qu'il évoquera tout de même toutes les options possibles -il y en a cinq : d'abord celle (qualifiée de « raisonnable » par Martine Brunschwig Graf) choisie par le Conseil fédéral, c'est-à-dire poursuivre dans la voie sans issue des « bilatérales », puisque que c'est la seule qui peut ne fâcher personne, même si l'Europe est fatiguée de perdre son temps à négocier au coup par coup des accords sur mesure pour la Suisse; deuxième voie : négocier, comme l'UE elle-même l'avait envisagé en 2008, un accord-cadre qui chapeauterait les 120 accords spécifiques, mais cette « solution » cosmétique ne changerait pas grand chose; troisième voie : adhérer finalement à l'espace économique européen, mais l'EEE, qui implique un accord sur les services dont la Suisse -ni la gauche suisse- ne veut pas, n'est plus qu'une antichambre de l'adhésion pure et simple... Quatrième voie : adhérer de plein droit à l'Union Européenne, mais de toutes les forces politiques suisses, seul le PS y est favorable; enfin, et pour mémoire, parce que personne n'y croit, pas même ceux qui la défendent : l'Alleingang, la voie solitaire, une sorte de chimère tenant à la fois de la Suisse udéciste et de l'Albanie enveriste. Cinq voies, donc : c'est déjà beaucoup pour une autoroute, alors, pour un cul de sac...

Après la Turquie...

Depuis la claque sonore reçue en mars 2001 par l'initiative «Oui à l'Europe» (qui ne demandait pourtant que l'ouverture de négociations avec Bruxelles), la question de l'adhésion de la Suisse à l'Union Européenne a été sortie de l'agenda politique, même si une demande d'adhésion est toujours pendante -mais suspendue à un croc de boucher, dans un congélateur. A la mi-octobre 2009, devant l'Assemblée des délégués du PSS, Moritz Leuenberger avait pourtant osé : il avait affirmé que la Suisse devait adhérer à l'Union... Oh, pas tout de suite. Ni même demain. Après-demain, peut-être. Ou encore plus tard. Et cette adhésion ne sera pas un thème central de la campagne électorale socialiste de 2011. Mais on peut tout de même en parler, puisqu'il faudra bien s'y résigner un jour... Il était prudent, le Conseiller fédéral, très prudent... il n'en fallut cependant pas plus pour réveiller l'UDC et, à ses basques, les libéraux-radicaux, soucieux de ne pas laisser à leur grand frère de droite le bénéfice d'une protestation «patriotique», même si le gouvernement fédéral, encore moins pressé, et encore plus prudent, que Moritz Leuenberger, ne parle que de la nécessité pour la Suisse de défendre ses intérêts, et de l'évidence que « le statu quo n'est pas réaliste » (Micheline Calmy-Rey dixit) La perte de souveraineté d'une Suisse contrainte, par le rapport des forces et les dures nécessités de son commerce extérieur, de s'aligner sur des décisions européennes auxquelles elle ne peut prendre aucune part, est une réalité (au point que la Suisse respecte les critères budgétaires de Maastricht mieux que les Etats membres de l'UE...), mais pas un argument de campagne électorale. Le petit monde politique en est bien conscient, et à quelques europhoriques près, personne n'a envie d'ouvrir, ou de rouvrir, un débat périlleux, et d'ailleurs purement théorique (« il n'y a pas de majorité au Conseil fédéral » pour réactualiser la demande d'adhésion, a reconnu Calmuche) sur l'adhésion de la Suisse à une Union Européenne dont elle est devenue une sorte de protectorat très content de le rester en pouvant faire mine de « défendre sa souveraineté ». Cette apathie politique arrange tout le monde : l'UDC, qui peut de temps à autre agiter l'épouvantail européen pour rameuter ses troupes, le PS, qui peut de temps à autre rappeler qu'il est favorable à l'adhésion, mais n'ira pas plus loin que ce rappel, les radicaux-libéraux, qui peuvent laisser leurs concurrents de droite et leurs adversaires de gauche faire mine de s'affronter, et le PDC, théoriquement pro-européen mais que l'éventualité d'un débat sur la question tétanise. « Les partis ont besoin de rassurer régulièrement leur électorat sur le fait qu'ils gardent la ligne », commentait D.S. Miéville dans Le Temps. Cela ne vaut que pour ceux qui en ont une, de ligne, qu'elle soit europhobe, comme celle de l'UDC, ou europhile, comme celle du PS. Pour les autres, moins on en parle, mieux ça vaut. Et c'est donc in petto qu'on admet qu'au bout du bout du compte, l'adhésion est sans doute inéluctable. Mais après celle de la Norvège, de l'Islande, du Liechtenstein... et de la Turquie...

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