Les fiches, le retour...

De la longévité des fouines

Vous vous souvenez de l' « affaire des fiches » ? C'était il y a vingt ans. En 1989, une commission d'enquête parlementaire avait révélé que 700'000 personnes étaient fichées et espionnées en Suisse, sans base légale, par les polices fédérale et cantonales. Ce scandale avait abouti à une refonte de la loi, censée permettre un «contrôle qualité systématique » du fichage des personnes suspectes. Il s'avère aujourd'hui que ce « contrôle qualité » n'est que de la poudre aux yeux, que le ficheur en chef, Urs von Däniken, a menti comme un arracheur de fiches en annonçant des contrôles qui n'ont jamais eu lieu, que les ministres successifs en charge du problème, Christophe Blocher et Ruth Metzler, s'en sont contrefoutu, que le fichage arbitraire continue, que des données sont récoltées de manière illégale, que des données obsolètes ont été simplement transférées d'un fichier à l'autre au lieu d'être supprimées, que des personnes sont fichées au hasard, parce qu'elles connaissent quelqu'un qui connaît quelqu'un qui connaît quelqu'un qui pourrait peut-être avoir été ou pouvoir être, un jour, éventuellement, dangereux pour la sécurité intérieure de notre petit paradis.
On vous invite vivement à demander à qui de droit si vous êtes fichés par les fouines fédérales (honte à vous si vous ne l'êtes pas !), et pourquoi, en utilisant la lettre type que vous pouvez télécharger www.droitsfondamentaux.ch/index_f.shtml

Little big Brother

La base de donnée ISIS contient actuellement des fiches sur 10'000 organisations et 200'000 personnes, et la moitié de ces fiches n'ont pas été soumises aux vérifications nécessaires ? Pas de panique, nous rassure la délégation des commissions des Chambres, il ne s'agit pas d'« espionnage politique », seulement d'une bête erreur bureaucratique, d'une « mauvaise définition des priorités», d'un malencontreux « oubli » de la loi. Ben voyons... La délégation des commissions de gestion des chambres a publié le 30 juin un rapport sur le fichage de ces 200'000 personnes par les fouines helvétiques, chargées de surveiller les terroristes, trafiquants d'armes et activistes violents. Il y en a donc autant que cela, en Suisse, de ces malfrats ? Qu'on se rassure : comme il y a vingt ans, nos « ficheurs » sont toujours d'une incompétence à la hauteur de leur paranoïa : plus d'une dizaine de personnes sont restées fichées des années après leur mort, certaines d'entre elles ayant encore un profil jugé « sensible » par les nécrophiles analystes du renseignement intérieur. Des éditeurs de journaux ont été fichés pour avoir publié des articles enregistrés par le SAP, une militante bâloise sexagénaire pour appartenance supposée au « Black Block », un automobiliste ivre pour avoir beuglé des chants fascistes et toutes les personnes sur lesquelles des services de renseignement étrangers ont demandé des informations au SAP ont été fichées par celui-ci, même s'il ne les connaissait ni d'Eve ni d'Adam et que la demande extérieure était infondée. Il y a cependant une différence entre cette nouvelle « affaire des fiches » et celle de 1989 : Il y a vingt ans, le fichage était essentiellement motivé par l'anticommunisme (à partir d'une définition du « communisme » suffisamment large pour qu'on y inclue à peu près toute pensée critique et toute attitude contestataire. L'anticommunisme est passé de mode avec le communisme, la xénophobie prend le relais : c'est l'étranger que l'on surveille, avec, à nouveau, une définition si large de l'étrangeté qu'à part quelques indigènes issus de trois générations de copulations consanguines dans les alpages de Suisse centrale, on ne voit guère qui pourrait s'en tenir préservé : on a fiché les naturalisés, les membres des associations de l'immigration, les requérants d'asile, les membres des réseaux de solidarité avec les réfugiés, les réfugiés eux-mêmes, et, en vrac, les ressortissants de douze pays... Bref, notre police politique est à l'image de notre xénophobie d'Etat. Dans le journal de solidaritéS du 9 juillet, Jean-Michel Dolivo écrit : « c'est l'abolition de la police politique qui est plus que jamais à l'ordre du jour »... Mais comme à notre connaissance, certes limitée, il n'y a pas d'Etat sans police politique, qu'elle soit avouée comme telle ou revêtue de quelques oripeaux plus civils, l'abolition de la police politique supposerait celle de l'Etat lui-même. On en est donc réduits à revendiquer une police politique démocratiquement contrôlée. Une police surveillée par ceux qu'elle surveille en somme...

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