Agrandissement de Champ-Dollon : Geôles stagnantes

L'agrandissement « urgent » de Champ-Dollon, c'est-à-dire la pose de containers pour augmenter d'une centaine le nombre de places de détention, prend du retard : les trois offres reçues d'entreprises privées pour ce chantier ont toutes été rejetées par le département des constructions : trop chères, ne répondant pas aux conditions en termes de délais, de garanties sur le paiement des charges sociales ou de respect des conventions collectives de travail. Le parlement avait voté le 20 mai, en urgence, un crédit de 25 millions pour ces 100 places supplémentaires, en faisant mine de croire qu'elles allaient durablement faire baisser le taux de (sur)occupation de la prison, alors que chacun sait qu'elles n'allaient offrir qu'un répit de trois mois avant que d'être englouties elles aussi dans le bourrage de geôles actuel. Bref, y'aura du retard dans le répit, les entreprises ayant flairé la bonne affaire et gonflé leurs prix en pensant que, saisi par l'urgence, l'Etat allait avaler n'importe quel devis. C'est raté. Reste une solution, idéale, et tellement dans l'air du temps qu'on s'étonne que personne n'y ait encore pensé : les travaux forcés. Yaka faire agrandir la prison par les prisonniers eux-mêmes. On leur file les outils, et au boulot. Comme disait un poète communiste local : « la pelle, la pioche et l'espérance »...

Cocotte-minute

Le Grand Conseil genevois avait voté le 28 mai, la tête dans le sac au terme d'une procédure accélérée, un crédit de 25 millions pour construire une nouvelle annexe à la prison de Champ-Dollon. Le vote était prévisible, la tournure du débat aussi, surenchères UDC et MCG comprises, et jusqu'à l'abjection d'un député libéral lançant : « ceux qui votent contre ce crédit prennent le risque d'avoir du sang sur les mains si la situation à Champ-Dollon dérape »... A cause de quoi et de qui déraperait-elle ? à cause, d'abord, du bourrage compulsif des prisons genevoises par une justice abusant de la détention préventive (la durée moyenne d'une détention préventive à Genève a doublé en trente ans, et on y recourt pour n'importe quoi : une jeune Rrom qui avait volé 200 francs a passé près d'un mois en prison, ce qui, compte tenu du coût journalier de la détention d'une personne à Champ-Dollon, a coûté plus de 10'000 francs à la collectivité, soit cinquante fois plus que le dommage reproché à la détenue); à cause, ensuite, de gouvernants multipliant les opérations policières gesticulatoires, sous les applaudissements et avec les encouragements de ceux qui garnissent leurs comptes en banques en défendant des margoulins, et les urnes électorales en appelant à la chasse aux mendiants. Trois mois après le vote du Grand Conseil, patatras ! Le crédit est insuffisant, les offres reçues ont dû toutes être repoussées parce qu'elles excédaient les crédits votés. Le département de Mark Muller, pressé de réalisé un coup politique, avait sous-estimé les coûts de l'opération, et s'apprête à demander un crédit additionnel. Qui sera évidemment voté comme le précédent, dans l'urgence et la tête dans le sac. La direction de la prison a accepté que les travaux d'installation des cent cellules supplémentaires se fassent sur un chantier ouvert 24 heures sur 24. On gage, sans grand risque de se tromper, que ces cellules supplémentaires seront remplies sitôt installées, ce qui permettra de continuer à surbourrer les cellules déja existantes, et à la prison de passer de 600 détenus pour 270 places à 700 détenus pour 370 places. De leur côté, les gardiens menacent de fermer les portes de la prison dans le sens de l'entrée, et de les ouvrir dans le sens de la sortie pour relâcher un tiers des détenus, ceux qui exécutent une courte peine et n'ont en vérité rien à faire dans une prison préventive. Dans la polémique vaseuse qui naît, cette menace des gardiens est la meilleure idée qui ait été jusqu'à présent exprimée. En situation de surpopulation carcérale, deux solutions s'offrent aux « décideurs » politiques : multiplier les prisons ou les vider en décidant de n'y envoyer désormais que celles et ceux pour qui elles ont été construites et qu'on a de vraies et solides raisons de ne pas laisser en liberté parce qu'ils représentent un danger pour autrui. On ne sera pas outrancièrement surpris que le Grand Conseil genevois presque unanime ait, de ces deux solutions, choisi la première, et la plus idiote : celle d'une cocotte-minute un peu plus grande.

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