Procès de la Banque cantonale genevoise :Post tenebras, semper tenebrae

Depuis lundi, les anciens dirigeants de la Banque cantonale genevoise comparaissent devant la cour correctionnelle. Leur procès a commencé par une cascade de requêtes dilatoires déposées par la défense (récusation de jurés au prétexte qu'ils sont fonctionnaires alors que l'Etat est partie civile, demande de récusation du président du tribunal, demandes de renvoi des débats) avec pour but évident de rendre le procès impossible et de le repousser au-delà du délai de prescription (15 ans) des délits (faux dans les titres, gestion déloyale aggravée dont sont accusés Dominique Ducret, Marc Fues, René Curti et les deux réviseurs ), les faits s'étant déroulés en 1996, deux ans après la naissance, par fusion de la Caisse d'Epargne (un fief PDC) et de la Banque hypothécaire (un fief libéral). Une fusion qu'à l'époque, le député socialiste David Lachat avait qualifiée de « mariage de raison entre deux fiancés âgés, usés, et qui se sont longtemps détestés ». Et dont on s'est aperçus qu'ils étaient pourris de créances douteuses que la fusion n'a fait que concentrer dans une seule et même banque, dont les responsables ont camouflé la situation réelle pour ensuite appeler l'Etat à leur secours. Dix ans après, cette belle histoire d'amour gérontophile s'achève par un procès, après une débâcle évitée de justesse par le canton, au prix de 2,4 milliards de francs. C'est ce procès dont les accusés et leur palanquée d'avocats d'affaires ne veulent pas, et qu'ils vont tout faire pour rendre impossible, aidés en cela par l'invraisemblable lenteur mise par le procureur Zappelli à clore l'instruction ouverte par son prédécesseur. Le procès de la BCG était sensé « faire la lumière » sur le plus gros bouillon bancaire genevois du XXe siècle -il ne la fera que sur l'acharnement mis à ce que les ténèbres perdurent.

Touche pas à mon pote

Il paraît (c'est la Tribune de Genève qui nous le disait en « une« ») que Genève attendait depuis dix ans (l'enquête pénale a été ouverte par Bernard Bertossa en 2000) le procès des responsables de la Banque cantonale genevoise lorsque celle-ci dut être renflouée de plus de deux milliards par le canton pour compenser les conséquences de la « folie des grandeurs » (ou de l'euphorie des glandeurs ?) qui avait saisi les susdits responsables au plus fort des délires spéculatifs des années quatre-vingt. La banque avait, sous leur responsabilité, accordé à tout va des crédits somptueux à des margoulins de l'immobilier, et les accusés le sont d'avoir tout fait pour camoufler leurs erreurs afin de préserver leur position sociale, leurs hauts salaires (entre 200'000 et 400'000 francs) et, pour deux d'entre eux, leurs bonus (entre 65'000 et 150'000 francs). Bref, de vrais banquiers suisses, mais d'une banque encore trop petite pour pouvoir jouer dans la cour des grands. Ducret, Fues, Curti, ne sont ni Madoff, ni Kerviel. Tout juste de petits Ospel de province, trois grenouilles voulant se faire plus grosses que des boeufs, des paons se trouvant fort déplumés la cacade venue. La prétention, la présomption, la vanité, la connerie même, ne sont ni des crimes, ni des délits. Même pas des contraventions. Et même si les accusés du procès de la BCG en sortaient condamnés, ce qui est fort peu vraisemblable, ce procès, si jamais il se tient jusqu'au bout, ce qui n'est guère plus vraisemblable, n'aura servi à rien, pas plus d'ailleurs que la vautrée de la banque n'aura appris quoi que ce soit aux milieux de la finance et de l'immobilier genevois, et à leurs porte-valises politiques - c'est ainsi qu'on retrouve un Christian Lüscher au nombre des avocats des anciens responsables de la BCG, demandant la récusation de jurés parce qu'ils sont fonctionnaires mais ne songeant pas le moins du monde à se récuser en tant qu'élu d'un peuple rançonné pour combler les trous de la BCG, attitude exemplaire de la confusion de règle dans ce pays et cette ville entre droite politique et milieux d'affaire(s). Il y a de la logique dans le véritable sabotage du procès de la BCG auquel se sont livrés, et continuent de se livrer, ces milieux : ce sabotage participe de la même démarche que celle qui consiste à proposer l'amnistie des fraudeurs du fisc. Promouvant sans classe une justice de classe, la droite genevoise ne s'avance pas masquée : ses coups, elle les réserve aux petits délinquants. Pour les gros délits, ceux dont le préjudice se chiffre en millions (voire en milliards, s'agissant de la BCG), sa magnanimité n'a d'égale que l'ingéniosité qu'elle met au service de la paralysie de la «justice» lorsqu'elle s'attaque aux petits copains : Ducret, Fues, Curti ne seront même pas à la bonne société genevoise ce que Kerviel vient d'être, un utile bouc émissaire à la Société Générale. Eux sont encore fichus de passer pour des victimes.

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