60e anniversaire de la Convention européenne des droits de l'homme

Les droits humains, solubles dans l'antiterrorisme ?

On célèbre ces jours le 60ème anniversaire de la Convention européenne des droits de l'homme. On se livre à cette célébration, alors que dans toute l'Europe l'extrême-droite progresse, et que depuis dix ans, au nom de la «Guerre contre le terrorisme», les droits humains sont, en Europe aussi, considérés comme d'encombrantes concessions humanistes. Toute cette «Guerre contre le terrorisme» se mène dans l'incertitude de ce qu'est le « terrorisme ». Or pour savoir ce qu'on est supposé combattre, ll faudrait d'abord s'entendre sur sa définition (comme on le fait précisément pour les droits humains, énoncés, énumérés et contenus dans des textes internationaux reconnus, et normatifs). Au sens le plus courant, le plus commun, le « terrorisme » est ce que l'étymologie suggère : une action violente, réellement ou potentiellement homicide, visant à susciter la terreur dans la population. Mais si l'on s'en tient à cette définition, le « terrorisme » est un crime commis autant, sinon plus, par des Etats, des gouvernements, des forces officielles, que par des groupes subversifs, et les pouvoirs d'Etat qui ont proclamé la « guerre contre le terrorisme » ne sont pas les derniers à user de méthodes « terroristes »... Pour les Etats et leurs gouvernants, cependant, il n'y aurait de « terrorisme » que dirigé contre eux, et de « terroristes » que leurs ennemis. L'hypothèse d'un « terrorisme d'Etat » , pourtant interminablement attestée par l'histoire serait-elle injurieuse ? Et pour qui, au juste ?

Prétexte

Le « terrorisme » comme les « droits humains », si fondamentalement, ontologiquement, contradictoires qu'ils soient l'un des autres, sont, le premier la pratique, les seconds la référence, de tous les adversaires de cette guerre qui est supposée mettre aux prises Etats et groupes « terroristes » . Mais quand « terrorisme » et « droits humains » se retrouvent dans le même champ, ce sont toujours les droits humains qui succombent. Même dans des pays démocratiques, la loi vient au secours de ceux qui veulent mettre les droits fondamentaux entre parenthèses : dès l'instant où une qualification de « terrorisme » est énoncée, une suspicion de « terrorisme » exprimée, les droits de la défense sont limités, voire purement et simplement abolis, les tribunaux civils remplacés par des tribunaux militaires ou les tribunaux ordinaires par des tribunaux d'exception, les garde-à-vue prolongées, des polices spéciales créées, des sanctions pénales renforcées, des intentions non suivies d'effet rendues punissables comme si elles étaient des actes, des projets non réalisés comme s'ils l'avaient été... et des méthodes d'interrogatoires s'apparentant à de la torture, pratiquées. Tout cela au nom de la défense de la démocratie et des droits humains. Au nom de quoi, au passage, les libertés fondamentales d'expression, d'association, de réunion, constitutives de la démocratie, sont bafouées, comme si la démocratie devait se défendre par la négation des droits démocratiques et les droits humains par leur ignorance. Puisque faute de définition incontestable du «terrorisme», on ne peut définir clairement ce qu'est une « entreprise terroriste », tout et n'importe quoi peut être considéré comme tel puisque l'intention «terroriste», ou même, en l'absence d'intention clairement exprimée, la seule possibilité d'une putative intention, fait le « terroriste ». Vous avez participé à une manifestation qui a dégénéré en violences ? Vous êtes partisan de la violence; et puisque vous êtes partisan de la violence, vous l'êtes, potentiellement, de la violence terroriste; vous êtes donc un terroriste potentiel, et puisqu'il vaut mieux prévenir le crime que le réprimer une fois commis, on peut, mieux : on doit vous arrêter. Il n'y a plus de hiérarchie des actes criminels, plus d'exigence de commission des actes, plus d'exigence de probation de la culpabilité -plus qu'une suspicion basée sur des interprétations d'intentions potentielles, et légitimées par un arsenal répressif aboutissant non plus à réprimer des actes, mais à réprimer des idées, des appartenances politiques, religieuses, nationales. Contester l'ordre établi, ou le pouvoir en place, devient le signe que l'on est, peut-être, un terroriste ou qu'on pourrait l'être ; il n'y a plus ensuite qu'un tout petit pas à faire pour que le « peut-être » devienne un «probablement», puis un « certainement », et finalement un « évidemment », qui n'exprimera qu'une seule évidence : celle du bon usage d'un prétexte.

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