Et revoilà la traversée routière de la rade

Et pont, et pont, petit patapont...

C'est un marronnier à peu près semestriel, et il nous ressurgit en Vendémiaire : le pont sur la rade. C'est la troisième réapparition de la traversée de la rade depuis le début de l'année. Sitôt le crédit pour la tranchée routière couverte de Vesenaz accepté, la droite et le Conseil d'Etat avaient ressorti des tiroirs le projet de traversée routière du petit lac, et. avec l'imagination qu'on lui connaît, l'UDC genevoise avait annoncé (sans faire suivre cette annonce d'effet) le lancement d'une initiative populaire en faveur de la « moyenne traversée » routière de la rade, un truc à un milliard (au moins) qui sommeillait paisiblement dans les collections locales des idées à la con : un tunnel pour relier l'avenue de France au Port Noir, et balancer un maximum de bagnoles à l'entrée des parcs de la rive-gauche et de la rive-droite. Un truc parfaitement inutile, qui ne permet pas le contournement routier de la ville, mais qui aurait permis à l'UDC de se sortir la tête de ses mouises internes et de se profiler comme le parti des automobilistes. Il ne manquait donc plus que lui : Philippe Joye, qui est au pont sur la rade ce que papy De Toledo est aux parkings : un obesssionnel monomaniaque (le risque du pléonasme est couru en toute connaissance de cause), jamais à court d'un effet d'annonce pour redonner un semblant de vitalité à une idée que les Genevois et voises avaient enterrée bien profond dans les urnes il y a quelques années. Comme le financement public du pont comme la lune est plus qu'aléatoire, et qu'il a fait de ce pont son horizon, son Eldorado, son Graal, Du Pont La Joye s'en est allé cherché (et a trouvé) un fonds souverain qatari capable de promettre qu'il en assumera la charge, pour près de quatre milliards, en échange des pépètes d'un péage.


Sur le pont d'Aloïse, on y chante, on y danse...


Répondant à des questions urgentes posées par les Conseillers nationaux Carlo Sommaruga (PS) et Antonio Hodgers (Verts), le Conseil fédéral avait douché les espoirs des partisans d'une traversée routière de la rade ou du Petit-Lac, financée par la Confédération : celle-ci n'a aucune intention d'offrir un tel ouvrage au lobby bagnolard genevois, et le gouvernement fédéral ne considère la traversée lacustre à Genève que comme une des nombreuses variantes « possibles » du contournement autouroutier genevois. De toutes façons, le financement de cette variante, ou de toute autre, devrait être soumis au parlement fédéral (et donc à référendum), et si elle ne devait servir qu'à soulager le réseau routier cantonal, ce serait au canton de payer. D'où, probablement, la quête d'un financement privé, qui pourtant, même s'il était crédible, ne changerait rien à l'absurdité du projet qu'il financerait, et rien non plus à la procédure par laquelle il devrait passer pour aboutir à un vote populaire, tout projet de traversée routière de la rade, qu'elle se fasse au-dessus ou en dessous des flots du bleu Léman, étant promis à référendum. Tout cela n'empêche pas les partisans de l'autoroute lacustre de s'y accrocher comme des moules à leur pieu : en janvier dernier, le Grand Conseil (c'est-à-.dire sa majorité de droite et d'extrême-droite) a accepté un crédit d'étude de 3,5 millions (un millième de ce que devrait coûter le projet étudié...) pour une « grande traversée » du petit-lac, entre la Belotte et le Vengeron, en pont ou en tunnel (ou les deux à la fois, mais plutôt en pont), à l'horizon 2040 (la droite voulant accélérer les choses et rêvant d'un « horizon 2020», Joye l'avançant à 2015)... Les socialistes et les Verts avaient bien essayé de faire comprendre à la droite que sa traversée lacustre ne résoudra aucun problème de circulation, mais en amènera au contraire de nouveaux dans les zones d'emprise du pont ou du tunnel, et avaient bien suggéré, poliment, qu'on ferait mieux de réduire les émissions de CO2 au lieu de les encourager en encourageant l'usage de la bagnole... peine perdue, la droite veut son pont, ou son tunnel. Le plus vite possible, n'importe où, à n'importe quel prix, quoi qu'on puisse en faire, ou n'en rien faire. C'est qu'on est depuis longtemps, avec ces projets de ponts, de tunnels, de pont-tunnels ou de tunnels pontés, sortis du rationnel et de l'utilitaire, pour entrer plein plot dans le fétichisme bétonné. Le tunnel du Conseil d'Etat, le pont ou le tunnel de la droite, le pont de Joye, ne sont plus ni des équipements routiers, ni même des « gestes architecturaux », mais les modalités d'une sorte de rite sacrificiel et totémique. Un ouvrage d'art, le pont-à-Joye ? peut-être. Mais alors, d'art brut.

Commentaires

Articles les plus consultés