Généralisation de la vidéosurveillance : Souriez, vous êtes filmés ! (ou fliqués)

Les caméras de surveillance fleurissent dans les communes genevoises : au moins neuf s'en sont déjà équipées (Carouge, en dernier lieu, en septembre, grâce à des défections à gauche). Ajoutez-y les bus, les parkings, les stades, la gare, et quelques ambassades et autres lieux sensibles, vous aurez un territoire où le panoptisme cher à Jeremy Bentham est une réalité. Or la prolifération des caméras de surveillance se fait dans un remarquable flou statistique : combien y en a-t-il, où sont elles, quand fonctionnent-elles, qui se cache derrière elles, combien de temps les images sont-elles gardées ? mystères. Des mystères auxquels s'ajoute un vide juridique, malgré une loi votée le 9 octobre 2008 par le Grand Conseil, qui prévoit que les caméras de surveillance doivent répondre à une nécessité, ce qui est rarement le cas, et doivent se cantonner à répondre à cette nécessité, ce qui est difficilement vérifiable. Résultat : nul ne peut plus désormais échapper, sauf à se cloîtrer, volets clos, chez soi, au regard des caméras.

Placebo panoptique

ça prolifère au nom de la prévention, mais ça ne prévient pas grand chose : la vidéosurveillance se généralise, à Genève comme ailleurs (il y en aurait déjà plus de 50'000 en Suisse dans les espaces publics), alors même que le seul effet perceptible des caméras installées pour empêcher la commission d'un délit est d'inciter éventuellement les délinquants à le commettre ailleurs, quand ils ne se contrefoutent pas d'être filmés ou non. A Lyon, par exemple, l'impact de la vidéosurveillance sur la délinquance constatée par la police nationale est de l'ordre de 1%. Mais à Lyon ou à Genève, peu importe : la prolifération de systèmnes, privés ou publics, de vidéosurveillance n'a pas pour fonction de « lutter efficacement contre les déprédations, les incivilités, le deal ou les agressions », mais de rassurer le bon peuple. Et si aucune étude ne permet d'établir le moindre rapport de cause à effet entre l'installation d'un système de surveillance et la baisse de la criminalité, comme le constate le préposé genevois à la protection des données, on se passera d'un tel rapport de cause à effet, pour compter sur l'effet placebo du panoptisme. Le Tribunal fédéral aura beau rappeler qu'« il ne suffit pas d'invoquer le slogan du maintien de l'ordre et de la sécurité pour justifier des surveillances illimitées », on se satisfera de ce slogan pour justifier des surveillances qu'on ne pourra limiter que dans la mesure où elles sont le fait de collectivités publiques. A Genève, depuis janvier dernier, une loi (la LIPAD) pose ainsi un cadre à la vidéosurveillance : les caméras doivent être signalées, les images floutées dès lors qu'elles sont visionnées par d'autres que les personnes, en nombre et en fonction restreintes, qu'on a expressément autorisées à le faire, les enregistrement doivent être détruits dans les sept jours sauf procédure judiciaire... mais ces limites ne valent ni pour les entreprises publiques, ni, à plus forte raison, pour les entreprises ou les personnes privées. Et pour les vidéosurveillances privées, le préposé à la protection des données ne peut donner que des recommandations, qu'on suit à bien plaire, ou qu'on ne suit pas, sans risquer la moindre sanction. Un quart de siècle après 1984, « Big Brother nous regarde » -mais il n'est pas le seul : Leviathan a fait des petits, et nous avançons à grands pas vers une société parfaite où tout le monde étant surveillé par tout le monde, le seul endroit où nous puissions encore (mais pour combien de temps ?) être certain de connaître celui qui nous regarde est notre chambre de bain, face à notre miroir. Etonnez-vous, après cela, que nous soyons de plus en plus nombreux, chats gris en compagnie d'autres chats gris, à préférer la nuit au jour, parce qu'il nous semble, probablement à tort, que le peu d'obscurité que nous laisse la paranoïa généralisée qui s'est emparée de nos villes nous protège du regard des inquisiteurs vidéastes -et que nous croyons encore pouvoit encore fuir les caméras de vidéosurveillance, plutôt que les casser.

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