Genève déborde de ses frontières : L'agglo et les blaireaux

Un accord a été signé lundi dernier entre les autorités genevoises, vaudoises et françaises de la région, pour le financement d'une première étape de projets infrastructurels rendus nécessaires par le développement fulgurant de la régio genevensis. Fulgurant ? Bien plus rapide que prévu, en tout cas : on prévoyait 200'000 habitants de plus en vingt-cinq ans, on en déjà gagné 65'000 en cinq ans... dont la moitié se sont installés en France, et un tiers dans le canton de Vaud, faute de logements disponibles à Genève, alors que dans le même temps et le même espace le nombre de places de travail s'est accru de 36'000 (soit en cinq ans le tiers de ce qu'on prévoyait en vingt-cinq ans), dont 6000 sur territoire vaudois -mais sans progression côté français. Les déséquilibres régionaux auxquels le projet d'agglomération voulait remédier se sont donc accentués, alors que l'on peine à constituer réellement la région, et surtout à admettre qu'elle est désormais le cadre de référence politique qui s'impose, puisqu'elle est le cadre qui s'impose à la réalité, et qui impose sa réalité, quelque déni que lui opposent dérisoirement quelques blaireaux refusant de voir plus loin que l'entrée de leur terrier, et rêvant même de s'y barricader.

Eppur si muove

Il y a trois ans, les responsables politiques genevois, vaudois et français de la région avaient pris un bel engagement : celui de rééquilibrer les rapports entre son centre et ses périphéries, entre Genève et ce qui fut son « arrière-pays » français et vaudois, et qui aujourd'hui est son pays tout court. Rééquilibrer ces rapports, cela signifiait essentiellement plus de logements à Genève et plus d'emplois autour. Résultat : l'inverse. Genève continue de créer plus d'emplois que sa couronne, la France voisine accueille deux fois plus de nouveaux habitants que Genève. Principales conséquences : l'engorgement des voies de circulation par les «pendulaires» en automobile et l'explosion du prix des terrains, des maisons et des loyers en France. La réalité de l'agglomération genevoise, avec tous les déséquilibres nés de l'absence de prise en compte politique, et institutionnelle de cette réalité, est telle, et sa force si évidente, qu'elle réduit les trépignements du MCG à leur juste et piètre dimension : celle d'une criaillerie impuissante. Annemasse, Saint-Julien, Ferney, Nyon, sont constitutives de Genève, et personne n'y peut rien : de Nyon à Bellegarde, il n'y a plus de «frontaliers», il n'y a plus que des voisins. La deuxième ville genevoise est française, la troisième est vaudoise, le canton de Genève ne représente que le tiers de la superficie de la région genevoise définie de la manière la plus restrictive, et dans dix ans, la majorité de la population de Genève habitera hors des frontières (nationales ou cantonales) genevoises. Cette réalité s'impose à l'urbanisme, à l'emploi, aux transports, à la culture, à la démographie -il n'y a plus qu'un seul espace où elle semble ne pas s'être imposée : la «tête des gens». Elus et élues politiques compris. A ce déni de la réalité de l'agglomération s'ajoute le déni de la réalité urbaine : toute la région genevoise est déterminée par son centre urbain, mais ce centre urbain se refuse lui-même en tant que tel, jusque dans sa configuration physique. Les débats sur l'urbanisme sont les plus maltraités par les media et on continue à les mener avec en arrière-fond intellectuel, un cadre de référence obsolète : celui de la confrontation entre la ville et la campagne, quand il n'y a en réalité plus de campagne à Genève, sauf à redonner à ce mot le sens que lui donnaient les aristocrates et les grands bourgeois du XVIIIe, celui de la résidence extramuros des membres de la classe dominante urbaine. C'est bien « dans la tête des gens » que doit se construire la région, puisque c'est bien là qu'elle doit d'abord être reconnue comme une réalité «incontournable ». Condamné pour avoir reconnu que la terre n'était pas le centre immobile de l'univers, Galilée murmura paraît-il : « Et pourtant, elle tourne » quoi qu'en dise l'Inquisition. L'agglomération genevoise a beau ne pas être perçue pour ce qu'elle est, une force qui fait sauter les unes après les autres les limites géographiques de l'action politique, elle s'impose à cette action -ou, si cette action persiste à n'en pas tenir compte, la réduit à l'insignifiance. L'Inquisition a condamné Galilée ? la réalité a condamné l'Inquisition.

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