Le 18 Brumaire de Christophe Darbellay

Casus belli

L'inscription, dans le programme du Parti socialiste suisse, de l'abolition de l'armée comme l'un des objectifs du parti, a provoqué des haut-le-coeur à droite -et le président du PDC a sorti
ce 18 Brumaire sa hallebarde pour intimer au président du PSS l'ordre, assez bouffon en soi, d'extirper cette vieille revendication antimilitariste du programme socialiste, faute de quoi le président du PDC déferait la paix au président du PSS, na ! Le président du PDC s'autorise donc à exiger du président d'un parti avec lequel, jusqu'à preuve du contraire, le sien n'est pas allié, qu'il modifie un programme approuvé par un congrès. On répondra évidemment à cette étrange exigence par un haussement d'épaule, le programme du Parti socialiste n'étant pas là pour plaire au PDC. Et on se gardera de toute exigence réciproque : ce n'est pas parce que le Président du PDC exige la modification du programme du PS que le PS va exiger du PDC qu'il ait un programme...

La mâle armée mal armée m'alarme

Que le président du PDC ait trouvé judicieux de transformer en casus belli l'inscription dans le programme socialiste de l'objectif de l'abolition de l'armée a certes quelque chose de dérisoire. Mais outre le dérisoire, il y a le significatif : sous les casques à boulons, la révolte gronde et les partisans de l'armée de milice classique, modèle Réduit National, se réveillent sous la tempête de restrictions budgétaires, de réduction des effectifs et de restriction des moyens qui s'abattent sur l'ost comme des shrapnells au Chemin des Dames. Première à monter au front, hallebarde à l'épaule et Morgenstern au poing, l'UDC, qui veut conserver une armée de 120'000 conscrits, dont au moins 48'000 dans les troupes de combat (contre l'immigration, sans doute), avec pour mission unique de défendre le territoire. Un « quarteron de colonels gâteux », le « Groupe Giardino », formé de hauts gradés généralement à la retraite, refuse également que l'on touche à leur bonne vieille armée et envisage le lancement d'une initiative populaire consacrant le principe d'une armée de milice. Un peu moins à droite, on se replie sur l'évocation des « menaces » qui planent sur la Suisse, l'Europe, le monde, pour justifier le maintien d'une armée, quelle qu'en soit la forme (de conscription, de volontaires, d'un peu des deux), sans trop s'attarder à l'examen de l'efficacité de l'instrument militaire contre ces menaces. Un tel examen, pourtant, serait instructif : contre le terrorisme, l'instrument militaire est, de tous ceux dont le politique peut faire usage, sans doute le plus inefficace -celui qui frappe le plus souvent à côté de la cible, qui fait les plus gros dégâts collatéraux, et le plus grand nombre de victimes innocentes de toute sympathie, et à plus forte raison, de tout acte terroriste. En Irlande du Nord, l'armée britannique, formée de professionnels, n'a pas réussi en un quart de siècle de conflit, à réduire militairement l'IRA et c'est par la négociation politique que le conflit a trouvé une issue, au moins provisoire. En Afghanistan, une formidable coalition militaire lancée contre les Talibans et Al Qaïda n'a réussi ni à repousser les premiers, ni à écraser la seconde. En Irak, l'invasion « occidentale » n'a pas réduit, mais provoqué, et renforcé le terrorisme. Le terrorisme est sans doute l'une des plus vielles méthodes d'action politique -elle est d'ailleurs une méthode de pouvoir, autant, sinon plus, qu'une méthode de lutte contre le pouvoir. Imaginer une seule seconde, même sous le poids d'un casque à boulons, que l'instrument militaire soit de nature à en protéger qui que ce soit, c'est faire fi à la fois de l'expérience historique, et du minimum d'intelligence qu'on est en droit d'attendre, même d'un militaire.

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