Courrier A, Courrier B, "Courrier" A, B, C...

La Poste, en entreprise soucieuse non de la qualité et de l'utilité de ses prestations mais de l'équilibre de ses comptes, envisage donc de priver l'unique quotidien romand de gauche, et l'unique quotidien indépendant genevois ( « Cause toujours » mis à part), « Le Courrier », de l'aide indirecte (des tarifs d'expédition préférentiels) que l'ex-service public devenu une entreprise commerciale en mains publiques est, encore (mais pour combien de temps) tenu d'assurer. Prétexte ultime (après avoir tenté de prétendre que « Le Courrier » n'est pas un quotidien « généraliste ») : cette aide est apportée aux quotidiens régionaux ou locaux, et La Poste a décrété que « Le Courrier » n'en était pas un, la preuve, il se qualifie de quotidien « suisse » sur son site internet... le prétexte vaut ce que valent désormais les mots « service public » pour La Poste, dont la décision, si elle se confirme, condamnera « Le Courrier » à assumer un surcoût de 325'000 francs pour sa diffusion. C'est le dixième de son budget. Pour La Poste, 325'000 francs, c'est rien, une paille, une bulle d'écume, mais pour le quotidien genevois, cette paille, c'est le prix de la survie.

Presse de gauche : les derniers des Mohicans

L'exécutif de la Ville de Genève, le gouvernement du canton de Genève, les parlementaires genevois aux Chambres fédérales, l'association des éditeurs «Presse Suisse », le syndicat des journalistes « Impressum », ont protesté contre l'intention de La Poste de ne plus accorder au Courrier les tarifs préférentiels qui permettent sa diffusion. Pour Impressum, cette décision « porte atteinte à la démocratie et menace la diversité de la presse », Le Courrier, quotidien indépendant et engagé, étant l'exemple même du titre qui peut bénéficier d'une l'aide indirecte à la « diversité de la presse ». L'argument est d'évidence, mais laisse de marbre La Posrte, qui se contente de répondre que Le Courrier peut toujours déposer un recours au Tribunal administratif fédéral. Pour justifier sa volonté de couper son aide au quotidien genevois, La Poste a expliqué que, pour elle, ce journal n'était pas un quotidien local ou régional; l'explication sent le prétexte à plein nez, d'autant que la loi ne définit pas ce qu'est une région, alors que la Romandie de toute évidence en est une et que le quotidien que la décision de La Poste menace est le dernier quotidien genevois (avec la Tribune de Genève, mais qui n'est plus que le titre genevois d'un groupe national), le seul quotidien genevois indépendant, le seul quotidien romand de gauche (à part nous, bien entendu, mais on ne conmpte pas)... Peu importe à ce qui fut une régie publique : « La Poste n'est plus un service public, mais fonctionne selon de purs critères de marché qui la poussent à se désintéresser de tout ce qui occasionne des frais », observe la Conseillère nationale, socialiste genevoise, Maria Roth-Bernasconi. De toutes les tares du Courrier, pire encore que celle d'être genevois, il y a donc celle d'être désormais le seul et unique quotidien de gauche de Romandie (en reste-t-il d'ailleurs un en Alémanie ?). Mais la faute à qui ? Notre âge précanonique nous fait nous souvenir du temps où, aux côtés de quatre quotidiens genevois plus ou moins franchement de droite (dont deux ont disparu depuis) quand Le Courrier n'avait pas encore viré de bord politique, on trouvait à Piogre un quotidien de gauche (la Voix Ouvrière), un autre à La Chaux de Fonds (La Sentinelle), un troisième à Lugano (la Libera Stampa) et une bonne demie-douzaine en Suisse alémanique (le réseau des AZ). Qu'en reste-t-il ? Aucun quotidien autre que Le Courrier, deux (sauf erreur) hebdomadaires (GaucHebdo et le Peuple Valaisan), des bimensuels (comme solidaritéS), mensuels (comme Pages de Gauche, trimestriels (comme Causes communes)... Et là, ce n'est pas le défaut de soutien de La Poste qui est en cause, c'est le manque de volonté politique des organisations et des partis de gauche -du moins de celles et de ceux qui auraient les moyens de se doter d'une presse digne de ce nom, et ne le font pas, ce qui rend d'autant plus méritoires les efforts de celles et ceux qui, fauchés comme les blés, maintiennent à flot un hebdomadaire ou un bimensuel. Un journal, ça coûte cher, il est vrai. Autant, voire plus, qu'une campagne électorale. Et quand on a le nez dans le guidon électoral, on ne perd pas son temps et son argent à éditer un journal. D'ailleurs, c'est quoi un journal ? Un truc écrit, un truc archaïque, imprimé, plein de mots, et même, parfois, horresco referens, d'idées... Un truc pas vendable. Un truc inutile. Comme ce que avez entre les mains (si vous avez consenti à imprimer ce que vous êtes en train de lire).

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