Pérennité de la berlusconnerie

Berlusconi, ahimè !

Silvio Berlusconi reste chef du gouvernement italien. De justesse, et après avoir acheté, au sens le plus crapuleux du terme, les quelques députés d'opposition qu'il lui fallait. Mais si Berlu reste, c'est aussi faute d'alternative. Il y a certes une opposition politique en Italie, mais quelle alternative politique à Pinocchio ? La gauche ? celle qui veut rester telle et ne s'est pas « repositionnée au centre », c'est-à-dire nulle part, s'est révélée incapable d'unité, sans programme, sans direction -et accessoirement sans « leader ». La droite ? Qu'un Gianfranco Fini, venu des tréfonds du néo-facisme, soit aujourd'hui le seul qui puisse représenter une « solution de rechange » à Berlusconi dit bien en quelle situation se retrouve l'Italie. Comme souvent, l'Italie a été initiatrice, précurseure*. Elle le fut souvent pour le meilleur, il lui est aussi arrivé de l'être pour le pire : le fascisme est de son invention. Et donc, la berlusconnerie aussi. Mais être initiatrice et précurseure n'implique nullement un monopole : l'Italie a inventé Berlusconi, mais il y a désormais des Berlusconi un peu partout.
*Les vieux codificateurs machistes de la langue française ne pouvant concevoir qu'une femme pût être « précurseur », ils ont décidé que cet adjectif ne pouvait être que masculin. « Précurseure » n'est donc pas français de leur français ? Tant pis pour eux.

Nous avons essayé d'écrire ici dans la langue de Machiavel, de Gramsci et de Pavese, et n'en avons retrouvé que des scories, des bribes et des injures : la langue de Berlusconi et de Bossi. Nous nous sopmmes résignés : nous avons écrit en français. Il est vrai que l'on peut aussi écrire de la France sarkozienne en italien. Ou de la Suisse blochérienne en n'importe quelle langue, pourvu qu'elle se crache.

« Tous les Etats, toutes les dominations qui ont exercé, et qui exercent une autorité souveraine sur les hommes, ont été et sont, ou des républiques ou des principautés » : ce sont les premiers mots du Prince de Machiavel. Nous n'en sommes plus à cette alternative simple, et claire : aux républiques ou aux principautés, l'exemple de l'Italie berlusconienne ajoute le sien : celui du souk et du bordel, de l'espace où les décisions politiques se vendent et s'achètent. Ce n'est pas l'Italie seule qui accueille cette forme, d'ailleurs pas si nouvelle, de domination, et de ce qu'à fait Berlusconi de l'Italie, nous aurions grand tort de nous gausser avec cette condescendance amusée qui si souvent nous fait prendre l'Italie pour ce qu'elle n'est pas, et la politique italienne pour ce qui nous rassure sur la nôtre. Ce qu'a fait Berlusconi de l'Italie est indigne de l'Italie -mais ce que font les Sarkozy de la France ou les Blocher de la Suisse, est-ce digne de la France ou de la Suisse ? L'Italie de Berlusconi n'est pas l'Italie qui a réinventé la politique, en quatre siècles de fulgurances intellectuelle, de Machiavel à Gramsci. L'Italie de Berlusconi est celle qui réduit la politique au souk, le débat politique à l'achat de vote, les projets politiques aux ambitions personnelles -en quoi, cette Italie là, celle qui nous consterne, ne devrait pas nous être si exotique que nous feignons de la trouver. Berlusconi reste donc au pouvoir, soutenu par la Ligue du Nord comme un pendu par sa corde, parce qu'il a ravagé la culture politique et sociale italienne, en déversant des tonnes de merdes télévisées empailletées, et en caressant dans le sens du poil la vieille indulgence italienne à l'égard de la corruption, de la combine... et des mafias. Mais les salauds ne sont pas forcément des imbéciles, et Berlusconi sait parfaitement ce qu'il fait : tout et n'importe quoi pour rester au pouvoir, puisque cela lui permet d'échapper à la Justice (une loi sur laquelle la Cour constitutionnelle doit encore se prononcer lui assure en effet l'immunité tant qu'il est à la tête du gouvernement, et il rêve de devenir en 2013 président de la République, c'est-à-dire garant des institutions -au point où on en est, pourquoi pas ?). Tant qu'il est au pouvoir, Berlu peut corrompre pour échapper aux accusations de corruption -et donc, il paie des politiciens pour qu'ils le soutiennent comme il paie des femmes pour qu'elles le branlent. Le scandale, si scandale il y a encore, tant l'habitude en a été prise, n'est pas qu'il ait acheté des députés de l'opposition pour rester au pouvoir, mais que ces députés se soient vendus. Il est vrai que, réduites à ce qu'en a fait Berlusconi, les institutions politiques italiennes, et les forces politiques qui y campent, ne sont plus les lieux d'une alternative à Berlusconi, où retrouver Machiavel, et Gramsci qui pensait que le « nouveau Prince » pouvait ne plus être un individu concret, mais un organisme, un élément de la société, un parti politique -mais les partis où il le voyait étaient le parti fasciste et le parti communiste Reste à l'Italie la rue, et le mouvement social. Pouvons nous jurer que nous n'en serons pas bientôt là, nous aussi ?

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