Dialogue de vieilles bêtes


Une vieille bestiole est morte, une autre en est triste... Doucement, sans gémir, sans miauler, sans griffer, une vieille chatte de gouttière est morte, et le vieux chat de gouttière humain qui croyait l'avoir adoptée alors que c'était elle qui avait condescendu à se laisser adopter, s'en trouve tout attristé. Il ne saura jamais, le vieux chat de gouttière humain, ce que pensait de lui la vieille bestiole féline quand elle le regardait avec cet air qu'ont les chats de toujours se foutre de nous. Se sentait-elle mourir ? peut-être. En avait-elle peur ? Il n'y paraissait pas. C'est nous que la mort de nos animaux familiers attriste. Et cette tristesse même, l'affection que nous pouvons porter à un animal non humain, nous dit la spécificité de notre propre espèce animale, avec ce qui s'y exprime, contradictoirement, de revendication d'une supériorité ontologique, ou de négation de toute différence fondamentale entre nous et elles -ce débat, par lequel certains rompent avec l'héritage humaniste dès lors que l'humanisme implique que « nous ne sommes pas des animaux comme les autres », la vieille chatte, elle, s'en moquait bien... La ferme des animaux

« Ce qui choque, ce n'est pas de renforcer les droits des bêtes, mais bien d'affaiblir ceux des humains », écrivait en éditorial Le Courrier, quand la Suisse s'apprêtait à voter sur la proposition d'instituer des « avocats des animaux »... Disons que si la bonne vieille opposition humaniste entre l'animal humain et les autres animaux n'a guère de sens, scientifiquement parlant, elle en a bien un, et un fort, politiquement : nous sommes certes des animaux, mais nous ne sommes pas des animaux comme les autres. Ce qui suffirait d'ailleurs à le prouver est bien que lors même que des humains proposent de renforcer la « protection des (autres) animaux », c'est en voulant les protéger des humains eux-mêmes, et pas d'autres animaux, et c'est ensuite en établissant entre les « animaux » une hiérarchie qui érigera ceux qui méritent d'être protégés au-dessus de ceux dont le sort nous est, au mieux, indifférent -quand nous ne le souhaitons pas le pire possible. L'initiative pour un avocat des animaux ne le prévoyait que pour les animaux vertébrés, et pour certains d'entre eux plus que pour d'autres : pour les chats et les chiens, les ovins, les caprins, les porcins, mais pas vraiment pour les rats d'égoût et les pigeons. Et pas du tout pour les animaux non vertébrés, et moins que pas du tout pour les insectes. Qui se souciera du calvaire de la mouche agonisant lentement collée à la glu du papier tue-mouche, de la mite alimentaire mâle agonisant semblablement après avoir été sournoisement attirée dans un piège par un pastille distillant des phéromones, des blattes sauvagement gazées dans les canalisations ? Même l'amour des animaux témoigne de l'étrangeté de l'animalité humaine : nous ne sommes pas des animaux comme les autres puisque nous nous donnons le droit d'exterminer les uns et de punir ceux qui maltraitent les autres... Au fond, l'« antispécisme » confirme, par son expression même, le spécisme. D'ailleurs, depuis 2003, selon la loi suisse, les animaux (les autres) ne sont plus des choses, s'ils ne sont toujours pas nos égaux. Les animaux humains non plus, d'ailleurs, ne sont plus supposés depuis au moins 1789 être des choses, et sons supposés être égaux... Mais dans la réalité, des « choses », et inégaux entre eux, animaux humains le sont toujours puisqu'on peut nous déplacer, nous expulser, nous licencier, nous mettre au travail ou nous priver de travail... et les animaux sont bien toujours des « choses », puisqu'on peut les élever en batteries, les abattre à la chaîne, les vendre en gros, en détail et en morceaux... Ce n'est pas de les manger qui nous condamne -c'est de les produire en les torturant pour en manger dix fois trop. Mais nous traitons-nous mieux ? Sur le tarmac de l'aéroport de Zurich, un requérant d'asile nigérian de 29 ans est mort, après qu'un policier se soit assis sur lui pour le maîtriser, parce qu'il résistait à son expulsion. Un policier qui aurait semblablement tué un chien ou un chat aurait été condamné pour maltraitance envers un animal. Que l'on sache, le policier responsable de la mort du requérant d'asile n'a pas été condamné. Et l'on se prend à regretter que les Suissesses et les Suisses aient refusé l'initiative populaire instituant un avocat des animaux. Parce qu'alors, les requérants d'asile, considérés par bien de nos semblables comme des animaux, pourraient au moins être traités et défendus comme tels. Et mieux traités qu'aujourd'hui.

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