La Suisse gèle les avoirs Ben Ali et Gbabgo

Vae Victis !

Mieux vaut un peu tard que jamais : un peu moins d'une semaine après que l'Union Européenne ait pris cette décision, la Suisse, à son tour, a gelé, dès le 19 janvier, les fonds du clan Ben Ali et ceux du clan Gbagbo. Les banques sont désormais obligées de rechercher des avoirs pouvant appartenir à l'ex-Raïs tunisien et à l'ex-président ivoirien et à leurs proches, et les intermédiaires financiers doivent bloquer les transactions douteuses, mais tout est dans le « désormais » : entre le moment de la chute de Ben Ali et celui du gel de ses avoirs et de ceux de sa camarilla, entre le moment de la défaite électorale de Gbagbo et celui du gel de ses avoirs et de ceux de ses proches, combien de millions ont eu le temps de s'envoler vers des coffres plus cléments ? Et surtout : depuis combien de temps savait-on que Ben Ali et Gbagbo pillaient leur pays, spoliaient leur peuple, faisaient de leur pouvoir le moyen de s'en mettre plein les poches et les comptes en banque ? Les avoirs des uns et des autres ne sont pas gelés par qu'ils sont douteux, parce qu'ils puent le vol et la corruption : ils sont gelés parce que Ben Ali est tombé et que Gbagbo n'est plus reconnu comme président de la Côte d'Ivoire. On punit les prédateurs ? Certes. mais seulement après qu'ils aient été vaincus.

Laisser du temps au temps

Combien de temps faut-il attendre pour qu'un dictateur ait à rendre compte de ses actes de dictateur, un pilleur de ses actes de pillage, un corrupteur corrompu de ses corruptions ? Un certain temps : le temps qu'il ne soit plus au pouvoir. Car un dictateur au pouvoir n'est pas un dictateur : c'est un chef d'Etat. Et un corrupteur capable encore de corrompre n'est pas un corrupteur ; c'est un client. Cinq ou six milliards de francs venus de Tunisie ou de Côte d'Ivoire dormaient en Suisse du sommeil de l'injuste quand Ben Ali régnait sur la Tunisie et que Gbagbo présikdait sans être inquiété le Côte d'Ivoire. Combien en reste-t-il qui puissent être saisis ? Le cas tunisien est le plus exemplaire des deux : Ben Ali était chef d'Etat, et chef d'entreprise. Une entreprise familiale, élargie, une kleptocratie qui contrôlait 60 % de l'économie tunisienne; elle contrôlait les cinq plus grandes banques du pays, les services de téléphonie mobile, le principal fournisseur d'internet, la vente des automobiles, et se servait à grandes brassées dans le secteur touristique : chacun des sept millions de touristes, au moins, qui se sont rendus en Tunisie en 2009 et 2010 a enrichi la famille Ben Ali, la belle-famille Trabelsi, les gendres, les cousins, les cousins des gendres et les gendres des cousins. La nouvelle loi fédérale sur la restitution des avoirs détournés par des dictateurs est une bonne loi : elle permet à la Suisse d'agir sans attendre qu'il le lui soit demandé par les successeurs des dictateurs et les représentants des peuples spoliés. Mais cette loi ne s'appliquera qu'aux dictateurs renversés, et à leurs proches en fuite. Elle s'appliquera à Ben Ali et à Gbagbo, parce que le premier est tombé, et que le second n'est plus reconnu par la « communauté internationale » (les guillemets s'imposent) comme le président de la Côte d'Ivoire. Mais elle ne s'applique pas aux émirs encore assis sur leur sofa de pétrole. Elle ne s'applique pas aux potentats des anciennes républiques soviétiques. Elle ne s'applique pas à la dynastie stalinienne de Corée du Nord. Elle ne s'applique pas aux généraux algériens s'étant réparti en lotissements les dépouilles de l'économie d'Etat. Il y a sans doute peu du Capitole à la roche tarpéienne, mais il aura fallu 23 ans pour que Ben Ali fasse le chemin menant du premier à la seconde, et que l'on envisage de saisir le produit de ses rapines. Il faut laisser du temps au temps, avait accoutumé de susurrer Mitterrand, orfèvre en double jeu et en double discours. C'est que la raison d'Etat n'a rien à voir avec une quelconque raison solidaire, et que la balance commerciale l'emporte toujours sur celle de la justice, quand ce que l'on pèse dans la première vaut des milliards de francs, d'euros ou de dollars, et que la seconde ne sert qu'à peser la tare des principes sonores et des justifications penaudes qui emballent la Realpolitik.

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