Petit buzz autour d'une candidate voilée : Le voile, la confusion, l'amnésie

Une candidate verte au Conseil Municipal de Vernier porte le voile « islamique » ... Joli coup de pub, mais avec quoi, derrière? de la confusion et de l'amnésie. De la confusion, d'abord, entre une liberté individuelle et une proclamation religieuse transformée en proclamation politique. Ou bien le choix de porter le voile est un choix purement vestimentaire, esthétique, le choix d'un look, d'une apparence, et on n'a rien de plus à en dire que sur le choix de porter des pantalons dont la taille se situe quelque part entre le genou et l'astragale, ou bien c'est un choix religieux qui n'a pas à encombrer l'espace politique, parce que l'encombrant, il le parasite et ajoute de la confusion à une confusion déjà générale entre le politique et le religieux. Il est vrai qu'en un temps où l'extrême-droite se revêt des oripeaux de la laïcité, l'aliénation religieuse aurait tort de ne pas se farder de couleurs de gauche. Et puis, il y a de l'amnésie, dans ce coup de pub. Parce qu'il conviendrait tout de même de se souvenir que ce sont aux femmes, et seulement aux femmes, à qui s'adresse l'ordre de se voiler, de se couvrir, de s'empaqueter...

Nihil sub sole novi

Que l'on transforme une candidate voilée en héroine de la tolérance multiculturelle, et que de tout son discours on ne retienne que le voile qu'elle porte, n'est pas tant scandaleux qu'affligeant. En soi, le voile n'est d'ailleurs pas plus islamique que juif ou chrétien : il est d'abord, et surtout, patriarcal. Il y a deux générations à peine, sur tout le pourtour méditerranéen, la prescription sociale était que la chevelure des femmes soit couverte -d'un voile, d'un châle, d'un chapeau, peu importe pourvu que cela couvre. Et jusqu'à la Grande Guerre, une femme sortant tête nue, «en cheveux», était ou bien une pute, ou bien une révolutionnaire -quand encore on consentait à faire la différence entre les deux. Et cela venait de loin, de millénaires en arrière, et d'une vieille angoisse masculine, avivée par l'envie de transmettre un héritage à sa progéniture et pas à celle d'un amant de sa femme. Et c'est ainsi que Monsieur enferma Madame, matériellement, symboliquement, socialement, pour s'assurer que les enfants de Madame soient bien aussi ses enfants à lui, Monsieur. Surtout les garçons. Enfermer les femmes, ou du moins soustraire leur visage au regard des autres hommes : ll fallait à cet ordre une autre justification que celle, triviale, qu'il avait en réalité -les religions y ont pourvu. C'est dire le rôle de chien de garde de l'ordre social, plus encore que de l'ordre moral, que la prescription religieuse (ou plutôt : la prescription sociale à prétexte religieux) joue, quand elle le peut. La religion ne serait que pathologie, aliénation, folklore, si elle ne produisait à bulles et fatwas continues des normes et n'avait la prétention, et parfois le pouvoir, de les imposer. 40'000 personnes ont manifesté à Lahore (Pakistan) pour soutenir l'assassin d'un gouverneur de province qui s'était prononcé pour l'abrogation de la loi punissant de mort le blasphème... Ce pouvoir, le christianisme l'a, dans nos contrées, perdu. L'islam, pas encore. Et d'autres religions, non plus (à l'Indépendance, l'Inde proscrivit le système hindouiste des castes : il est toujours là...). Mais ces prescriptions n'auraient aucun poids si nul n'y adhérait volontairement. C'est dire qu'il y a de la servitude volontaire dans la revendication par des femmes de ces prescriptions comme étant les leur. Que le respect des traditions patriarcales soit volontaire ne change rien à leur signification, sauf à accroître encore la pression exercée sur celles à qui on les impose -une pression dont les immigrantes sont les premières victimes : les renvoyer systématiquement à leurs origines ethnique et religieuses, c'est les priver de toute possibilité réelle de s'en trouver d'autres que celles qui leur ont été léguées, souvent par des systèmes sociaux et culturels patriarcaux qui, précisément, leur niaient toute autonomie, et tout droit de se définir elles-mêmes. Mais de ce point de vue même, interdire le voile, le hidjab, le niqab ou la burqa en tant que mode vestimentaire « contraire à notre mode de vie », et, par définition, ne l'interdire qu'aux femmes, puisqu'elles seules y sont empaquetées, ne vaudrait guère mieux que l'obligation qui leur est faite ailleurs de la porter. Nous avons donc à résister à deux tentations, contradictoires, mais assez également confortables : celle du j'men-foutisme ironique, et celle de notre propre intégrisme. Ou, pour nous parer de références un peu plus glorieuses, celles de nous prendre pour le Voltaire de l'Affaire Calas sans en avoir le génie, ou de nous prendre pour Saint-Just sans en avoir le courage. ll en est de ce combat contre l'aliénation religieuse comme d'autres : si la gauche le déserte, qu'elle ne vienne pas pleurnicher que l'extrême-droite s'en empare, en ne le menant que contre l'aliénation religieuse concurrente de celle dont, hasardeusement, nous avons hérité dans nos contrées... Une Verte verniolane prend le voile ? Le PDC songe à prendre la croix pour emblème ? Relisons La Religieuse de Diderot...

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