« Révolution de jasmin » en Tunisie : Vivement la contagion !

Pour la première fois depuis les indépendances en Afrique du nord, voire dans le « monde arabe » tout entier, une révolution populaire -et non un coup d'Etat ou une intervention étrangère- a chassé du pouvoir le clan politique et familial qui l'avait accaparé. Le régime tunisien ne s'est pas tout entier effondré, mais le président Ben Ali, ses affidés, sa famille et sa belle-famille, ont dû fuir le pays qu'ils pillaient et étouffaient depuis 23 ans -depuis que Ben Ali eut lui-même renversé le vieux Bourguiba, atteint de démence sénile. La victoire, toutefois pas encore définitive (le nouveau gouvernement tunisien fait la part belle aux caciques encore présentables du parti de Ben Ali), de la rue tunisienne sur la dictature kleptocratique pesant sur elle, a suscité une vague de sympathie dans tous les pays arabes -et une vague d'inquiétude au sommet de tous les Etats qui depuis un quart de siècle fermaient les yeux sur les exactions du régime de Ben Ali. Et si la « révolution de jasmin » était contagieuse ? si la rue marocaine, algérienne, égyptienne, libyenne même, s'en emparait ? Qu'Allah nous en préserve, se disent sans doute, in petto, les petits maîtres du monde...

L'odeur enivrante du jasmin

« Notre rêve est devenu réalité : il est possible de chasser nous-mêmes les criminels », s'est exclamé samedi le coordinateur de l'Association des Tunisiens en Suisse, Anis Mansouri. Qui a cependant ajouté, sagement : « le travail commence maintenant pour construire la démocratie en Tunisie ». Il n'empêche : même s'il ne fait que commencer, le travail démocratique du peuple tunisien est, déjà, par le fait même qu'il a commencé par une insurrection de la rue, un démenti radical à l'affirmation des idéologues de la « guerre des civilisations », et de leurs disciples politiques, que les « peuples musulmans sont incapables de construire eux-mêmes une démocratie », qu'il faut donc les y aider -c'est-à-dire les y forcer, au besoin en les bombardant. Les mêmes d'ailleurs, n'ont aujourd'hui qu'un souhait : que la Tunisie sombre dans le chaos et la guerre civile. Mais Ben Ali tombé, la France qui parraina Ben Ali pendant un quart de siècle, a avant-hier bloqué des mouvements financiers « suspects » d'avoir tunisiens, et en Suisse, le Parti socialiste demande le blocage des avoirs du clan. Vae Victis ! Il faut attendre que les dictateurs tombent pour que les démocraties s'y attaquent... Qui écoutait, ou même entendait l'opposition tunisienne, hors des cercles, somme toute assez restreints, de la gauche solidaire ? Le régime de Ben Ali, proclamé « rempart contre l'islamisme » a prospéré pendant 23 ans grâce au soutien et à la complicité des Etats « occidentaux » et de leurs gouvernements -de gauche comme de droite. Qui se réveillent aujourd'hui, après que Ben Ali ait fui, et que les cadres politiques de son régime aient eux-même promis d'y mettre fin et annoncé l'organisation d'élections présidentielles libres -les premières de l'histoire de l'Afrique du nord. Cela même, cela surtout, inquiète l'« Occident » : et si les islamistes les gagnaient, ces élections, comme ils avaient naguère, en Algérie, gagné des élections législatives avant que l'armée, au grand soulagement des « partenaires » de l'Algérie, ne referme la parenthèse démocratique ? Tous les pays voisins, et voisins des voisins, de la Tunisie souffrent des maux qui ont poussé les Tunisiens dans la rue : corruption, répression, écrasement des libertés, trucage des élections, domestication de la presse, chômage... D'entre ces pays, deux au moins sont assis sur une rente pétrolière et gazière qui en fait des enjeux stratégiques autrement plus importants que la Tunisie : l'Algérie, la Libye. L'Algérie, surtout, où dimanche, un jeune homme est mort après s'être immolé par le feu, comme celui dont le suicide fut le déclencheur de la révolte tunisienne. Le renversement du pouvoir algérien par la rue algérienne est-il possible ? si on laisse les Algériens en décider eux-mêmes, sans doute. Sinon, si le pouvoir algérien réussit, une fois de plus, à écraser la révolte des Algériens, quitte à provoquer dix ans de terrorisme et deux cent mille morts (plutôt le chaos que le mauvais exemple !), on se taira. Ou on applaudira, plus ou moins discrètement, au nom de la lutte contre la menace islamiste. Le même prétexte que celui qui justifiait que l'on couve la régime tunisien. Des manifestations ont salué jusqu'au Yemen et en Jordanie la chute de Ben Ali -mais Ben Ali, après avoir lâché ses sicaires dans les rues de Tunis (ils y tuent encore) s'est enfui en Arabie Saoudite. En Arabie Saoudite, au moins, le silence a été de règle sur son arrivée. Les wahabites sont des islamistes de bonne composition : ce sont les alliés de nos tuteurs. Et quand Hafid Ouardiri s'exclame « L'Arabie Saoudite ne doit pas devenir la poubelle de la dictature », on ne peut que lui rappeler qu'elle l'est déjà -mais que c'est, aussi, notre poubelle, et qu'elle est gorgée de pétrole.

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