Tunisie, Algérie, Egypte, Pakistan, Côte d'Ivoire... Suisse... L'indignation, et après ?

Suisse... L'indignation, et après ?

Hier, nous reprenions de Stéphane Hessel le titre, impératif, de son petit opuscule : « Indignez-vous ! ». Nous le reprenions en appelant à une manifestation de dénonciation du terrorisme, des épurations religieuses, de la répression des droits fondamentaux. La manifestation a eu lieu. Et l'indignation y a été plus étique qu'éthique. C'est que l'indignation, si elle est comme s'en souvient le Résistant que fut Hessel, « le moteur de la résistance », ne suffit pas à rendre possible le nécessaire -la résistance, précisément. Il faut à l'indignation autre chose et plus : l'insoumission, qui suppose une organisation. Sans l'insoumission, l'indignation n'est qu'une posture. Sans l'organisation, l'insoumission n'est qu'une élégance, sans autre fin que nous plaire à nous-mêmes, et qui ne plaira qu'à nous-mêmes. Mais sans rire ni aimer, que vaut l'organisation ?

« Je puis parler aux morts, mais je ne m'adresse pas à ceux qui acceptent de mourir à eux-mêmes »

Indignez vous ! nous demande Hessel... Insoumettons-nous, lui répondons-nous ! Et organisons nos insoumissions, ajouterons-nous ! Des raisons de nous indigner, chaque jour nous en offre de nouvelles. Des lois, des institutions, des pouvoirs à quoi nous insoumettre, nous ne manquons guère non plus. Reste l'exigence de nous organiser, pour n'en pas rester à une indignation vertueuse et une insoumission solitaire. A nous organiser, et à nous doter des instruments, des armes politiques et culturelles qui pourront rendre nos indignations fécondes et nos insoumissions victorieuses. D'entre ces armes, il en est deux dont nous usons si peu, ou si mal, qu'elles paraissent ne plus être que des refuges : le rire, l'amour. S'indigner, et aimer : il faut lire Stéphane Hessel, il faut lire aussi La Boëtie, et réécouter les grands discours de Malraux, nous rappelant que le refus est fondateur, que l'homme et la femmes libres sont celui et celle qui sont capables de dire « non », et que « l'esclave dit toujours "oui" » Et puis, dans la foulée, lire Raoul Vaneigem, pour qui « l'amour est un appel à la désobéissance civile », puisqu' « en tout amoureux naît un rebelle ». S'indigner, aimer et rire, et si nous ne pouvons rire de ce qui nous blesse, au moins en ricaner, en nous souvenant du Nom de la Rose de Eco, et de ce livre évoqué d'Aristote, sur la comédie, sur le rire, précisément, qu'un vieux moine bibliothécaire qu'on dirait aujourd'hui intégriste se donne pour mission de cacher à tout lecteur, parce que du rire naît l'irrespect. Or c'est d'irrespect donc nous avons grand besoin. Aucune loi ne mérite d'être respectée pour la seule raison qu'elle est une loi. Quand la loi interdisait aux juifs allemands et autrichiens d'entrer en Suisse, c'est le viol de la loi qui était légitime, non son respect. Et si demain la loi devait obliger les enseignants à dénoncer leurs élèves sans-papiers, c'est encore refuser d'appliquer la loi qui serait légitime, pas de s'y plier. De même, aucune institution n'est légitime pour la seule raison qu'elle a été instituée et aucun pouvoir, pas même ceux au sein desquels nous siégeons, ne mérite révérence pour la seule raison qu'il est là et dispose de la force. C'est vrai partout : en Tunisie, en Algérie, en Egypte, de toute évidence, mais dans nos propres pays, démocratiques, « développés », prospères au moins par comparaison, aussi. C'est donc vrai en Suisse, comme ailleurs. En Tunisie, en Algérie, en Egypte, au Pakistan, on mesure ce que des pouvoirs illégitimes, ouvertement dictatoriaux ou à tout le moins autocratiques, font, ou laissent faire, à leurs peuples. En Suisse, on mesure ce que le peuple lui-même se fait à lui-même, ce qu'il fait de ses droits, à quelles fins il en use : xénophobie, paranoïa sécuritaire, tribalisme... et on mesure ce que des politiques font de leurs mandats : des appels à la délation. On s'en indignera. Il faudra aussi s'y insoumettre, et pour cela s'organiser. Et puis rire. Et puis aimer. Tout va de pair : « Je puis parler aux morts, mais je ne m'adresse pas à ceux qui acceptent de mourir à eux-mêmes » (Raoul Vaneigem) Et à part cela, quoi de neuf ? Bah... ce soir, les socialistes genevois désigneront leurs candidates et candidats à l'élection, cet automne, du parlement fédéral. Objectif du parti : sauvegarder ses quatre sièges au Parlement, renforcer la gauche dans la députation genevoise. Ce sont des objectifs, ce seront de bons candidats et de bonnes candidates. Pas encore des raisons d'être et de se battre. Nous avons besoin d'autre chose. De quelque chose qui puisse répondre à cette vérité première, dite par le vieux Bakounine : « la liberté des autres étend la mienne à l'infini ». Nous ne méritons jamais que les droits et les libertés que nous reconnaissons aux autres, les autres ont tous les droits et toutes les libertés que nous revendiquons pour nous.

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