8 mars, Journée de LA femme ?


Les mots pour ne pas le dire

« Fête du travail » le 1er Mai au lieu de « Fête des travailleurs » , Journée internationale de LA femme le 8 mars au lieu de Journée internationale des femmes : les mots ont un sens. Ce ne sont pas les travailleurs que fêtent ceux qui parlent de « fête du travail », ce ne sont pas aux femmes qu'est dédié le 8 mars par ceux (et celles...) qui en font la « journée de la femme » (même la Mairie de Genève s'y met, à cette réduction rhétorique d'une journée dédiée aux femmes réelles en une journée accordée à « la » femme, à la « femme en soi », à la femme abstraite... Le 8 mars, les sociétés démocratiques, développées et bien-pensantes mettent LA femme sur un piédestal. LA femme, pas les femmes. On statufie pour ne plus être encombré, en somme. Le pas suivant mènera sans doute de la Journée de « la femme » à une journée de la « féminité » définie par les hommes comme l'on est passé de la fête des travailleurs à la fête du travail défini par les patrons.


Bonne fête, LA femme ! Et au boulot, les femmes !

Si le succès d’un mouvement social pouvait se mesurer à la banalisation de ses références, la victoire du féminisme ne ferait nul doute. Il n’est plus hors de l'extrême-droite de discours politique qui n’intègre à son contenu quelque référence au féminisme, d’autant plus facilement que cette référence exprimera ce que le féminisme aura de moins subversif. Ainsi se tient-on quitte de tout effort de changement social en ayant participé d’un rite rhétorique et laissé des femmes s’ébrouer dans l’espace de l’ascension sociale et de la chasse aux postes, selon les vieilles règles du carriérisme masculin. Rien n’aura été changé des fonctionnements sociaux, aucune institution n’aura été menacée, aucune hiérarchie fondamentale remise en cause, mais des femmes y auront été intégrées, et les femmes se retrouveront comme les hommes prises dans leurs rets. Les femmes radicales-libérales peuvent tout à fait naturellement réclamer plus de femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises, pour rendre ces dernières « plus performantes et plus innovantes » -mais au prix de quelle exploitation des femmes d'« en bas » ? Le mouvement féministe était dangereux socialement et politiquement pour l'institutionnalité sociale parce qu’il était fondamentalement subversif : ce même mouvement devient fréquentable, ne serait-ce qu’électoralement, dès lors qu’il se réduit à ne plus être qu’un lobby. Ainsi renonce-t-on à changer le pouvoir pour y revendiquer des places. Rien ne bouge, tout se parfait : ce que le féminisme contestait est conforté par le lobbysme féminin, comme ce que le socialisme combattait fut conforté par l’intégration de socialistes aux institutions combattues. Le féminisme est un projet subversif en ce qu’il conteste radicalement (« à la racine ») quelques unes des institutions fondatrices de nos sociétés: l’Etat et ses appareils répressifs ou idéologiques, l’école, la famille, la propriété privée transmise par héritage, l’Eglise même. Réduit à la revendication de participer à la direction de ces institutions, même des plus patriarcales et des plus antiféministes (l’église catholique romaine, par exemple), le projet subversif se réduit à un projet de rationalisation ou à une volonté d’élargissement sociologique. Le mouvement socialiste ayant lui-même vécu cette réduction de la volonté de changer la normalité sociale à la revendication d’en participer, on ne s’étonnera pas de voir le féminisme suivre cette même voie qui conduit un mouvement social à ne plus être que le souvenir d’une subversion -le souvenir du temps où le féminisme était subversif. Les mêmes causes, en somme, produisent les mêmes effets : l’identification d’un projet (le féminisme ou le socialisme) aux intérêts immédiats de sa base sociale (les femmes ou les ouvriers), ou de ses cadres, est d’abord une réduction du projet lui-même, son affadissement et au bout du compte sa transformation en une justification des désirs individuels d’ascension sociale. L’identification du féminisme au féminin annonce la réduction du féminisme à l’ascension sociale de femmes (et non pas des femmes, de toutes les femmes), comme l’identification du socialisme à l’ouvrier préludait à la transformation des ouvriers en petits bourgeois conformes au modèle et conformés aux normes. Dans les deux cas, le mouvement social perd en force et en légitimité politique ce qu’une partie de ses actrices et acteurs gagnent en statut social. Des femmes au pouvoir parleront au nom des femmes, des ouvriers aux gouvernements parlèrent au nom de tous les ouvriers ; des femmes au pouvoir décideront et agiront contre les intérêts des femmes, comme des ouvriers ayant accédé au pouvoir réprimèrent des grèves. « La femme est l'avenir de l'homme », chantait Ferrat (et ce n'est pas sa meilleure chanson...). « La femme est l'avenir de l'homme » et les femmes ses servantes ? On sait bien que ceux qui passent leur temps à célébrer « la » femme ne sont jamais que les mêmes qui tiennent à ce que « les » femmes réelles restent à leur place, celle que quelques millénaires de patriarcat leur a assignée. On l'aura compris, on ne célébrera pas aujourd'hui la « Journée de la femme ». Mais on ira retrouver Rosa Luxemburg ( « L'avenir, seulement », au Grütli) et Grisélidis Real ( « Les combats d'une reine » , au Poche).

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