Tunisie, Egypte,Algérie : L'armée, le peuple, le pouvoir

Raïs crispé, Raïs crispant

Or donc, répondant aux millions d'Egyptiennes et d'Egyptiens lui criant (en françaoui de Tunis dans le texte) : «dégage!», Moubarak a déclaré « je reste » . Encore un moment. Tant qu'il peut. Et apparemment, il croit pouvoir encore, en tout cas jusqu'aux élections. Face à lui, tout un peuple et entre le pouvoir et ce mouvement : l'armée, financée et équipée pour 1,3 milliard de dollars en 2010) par les Etats Unis, et dont le chef d'état-major est un général pro-américain. Moubarak reste jusqu'aux élections ? Il en a sans doute obtenu l'autorisation de l'armée et de ses tuteurs.

Pour un Chavez, combien de Moubarak ?

« On assiste à une vraie révolution », témoigne l'écrivain égyptien Alaa El Aswany : « dans toutes les villes, tous les villages d'Egypte, les gens sont dans la rue » pour demander non seulement le départ de Moubarak, mais aussi « un vrai changement social », « une nouvelle Egypte, juste et égalitaire ». Le départ de Moubarak, l'armée peut l'accepter. Elle peut même l'organiser, et le provoquer. Mais le « vrai changement social » ? C'est bien à une révolution, parce que c'est bien au réveil d'un peuple, à quoi l'on assiste en Egypte, en ce moment. Une révolution qui, quoi qu'en écrivent quelques commentateurs alarmés, n'a pas grand chose à voir avec la révolution iranienne. La révolution égyptienne, dont on ne sait encore jusqu'où elle ira et ce qu'elle obtiendra, n'est pas islamique (la révolution iranienne ne l'était d'ailleurs pas uniquement, avant d'être captée par le clergé chiite). Et l'Egypte n'est pas l'Iran. Et l'islam égyptien, sunnite, n'est pas l'islam iranien, chiite. Il n'y a pas de clergé en Egypte (sinon le clergé copte, hors course) pour encadrer une révolution. Et les Frères Musulmans ont été autant que les autres forces d'opposition dépassés par un mouvement qu'ils n'avaient ni prévu, ni souhaité, s'ils tentent de prendre en marche un train qui n'est pas le leur.
« Dégage », dit l'Egypte à son président. « Non, pas tout de suite », répond Moubarak. Mais ce n'est pas parce qu'il ne veut pas partir qu'il n'y sera pas finalement contraint : la Tunisie a montré que la tête d'un régime autocratique, ploutocratique et kleptocratique, sinon ce régime lui-même, peut être renversée. Cependant, la Tunisie a aussi montré que pour qu'il en soit ainsi, sans que la révolution aille plus loin qu'on est prêt, aux franges du pouvoir contesté et dans les Etats qui le parrainent, à la voir aller, l'armée est une clef essentielle -qui ouvre ou ferme, ou entrebaille, la porte de la démocratie. Or depuis le coup d'Etat de 1952, qui a renversé la monarchie, ce sont toujours des militaires qui ont été à la tête de l'Etat égyptien : Neguib, Nasser, Sadate, Moubarak... Et dans aucun pays arabe (ou arabo-berbère), l'armée n'a été, les indépendances acquises, autre chose qu'un instrument du pouvoir, quand elle n'était pas le pouvoir elle-même. En Algérie, l'armée a confisqué le pouvoir (et la rente) dès le renversement de Ben Bella. En Tunisie, elle n'a lâché Ben Ali que lorsqu'il n'était plus possible de faire autrement. Et le monde arabe n'est pas la seule proie du pouvoir militaire -ni les oppositions arabes les seules victimes de l'illusion que les armées sont le peuple en arme, et donc une force démocratique. Et les armées arabes ne sont pas les seuls objets de cette illusion : les mosquées aussi ont été affublées d'un costume démocratique bien trop grand pour elles, et pour les espérances mises en elles. Les armées arabes, pas plus qu'aucune autre armée « régulière », ne sont pas les armées des peuples -elles sont les armées des Etats, et tant qu'elles le veulent, ou qu'elles ne peuvent pas faire autrement, les armées des pouvoirs en place. Peut-être les chefs de l'armée égyptienne lâcheront-ils Moubarak, en ayant constaté comme Alaa El Aswany que « ce qui fait qu'une dictature est efficace, ce n'est pas la répression, ce n'est pas la police, c'est la peur de la police ». Sans doute l'armée, dont les chefs ont qualifié de « légitimes » les revendications populaires, est-elle, aujourd'hui, assez contente de faire rempart entre les manifestants et les policiers, et envisage-t-elle d'ouvrir une transition politique, Mais au-delà de cette limite, son ticket démocratique est périmé : il peut certes y avoir des révolutionnaires dans l'armée (mais pour un Chavez, combien de Moubarak ?), cela ne fera pas de cette armée une armée révolutionnaire, si cela peut en faire l'armée qui éteindra la révolution, sans l'écraser, en lui donnant un peu, pas trop, de ce qu'elle exige : un Moubarak, par exemple.

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