Réouverture électorale de la chasse aux Rroms

Faute de shtetl...

Il ne fait pas bon être Rrom en nos villes en période d'élections. A Genève, le MCG veut leur fermer l'abri de nuit des Vollandes et à Lausanne les radelibes veulent interdire la « mendicité par métier », ce qui devrait fort inquiéter nombre de commerçants et de clubs sportifs du cru. Les Rroms, en tout cas, auraient parfaitement raison de s'en contrefoutre, n'était le harcèlement policier dont ils sont victimes, et l'exploitation politique dont ils font l'objet. L'antisémisme traditionnel (l'antijudaïsme) ne fait plus recette (sans avoir disparu pour autant) ? Qu'importe : la tripe est encore féconde, on trouvera, et on a trouvé, d'autres boucs émissaires. Le pogrom change de cible, se fait doucereux, légal, hygiéniste, mais c'est toujours un pogrom. On ne brûle plus les shtetls (il n'y en a plus à brûler) -on appelle la télé pour se faire filmer devant le débarras des campements roms. On progresse, quoi.

« ... c'est ainsi qu'on grimpe dans la même posture que l'on rampe » (Jonathan Swift)

L'adoption par la droite genevoise de la loi «anti-mendicité» (c'est-à-dire, pour parler clair, de la loi anti-Rroms), n'a eu que des effets marginaux sur le terrain, et le porte parole de la police reconnaissait qu'« il n'y a rien de glorieux à faire les poches des mendiants ». On ne saurait mieux dire, mais ce n'était ni la gloire, ni l'efficacité que l'on recherchait, mais des électeurs, et peu importait à la droite genevoise qu'avec la Loi sur les étrangers, passablement xénophobe, les zautorités disposaient déjà d'un instrument de lutte contre la mendicité des Rroms (ou d'autres étrangers), à supposer qu'il faille lutter contre elle, et qu'elle soit plus gênante que la mendicité des Suisses (car, bonnes gens, il faut que vous le sachiez : il y a des mendiants suisses...). Peu importe donc que les mendiants soient toujours aussi nombreux, leurs «réseaux» toujours aussi improbables, que les amendes soient impayées, que les policiers perdent à courir après les mendiants (et à se retrouver ensuite devant les tribunaux) un temps et une énergie qui pourraient être bien plus utilement investies ailleurs : le mendiant Rrom fait toujours recette électorale. C'est du moins ce que semble croire une bonne partie de la droite romande (outre l'extrême-droite, qu'on ne s'étonnera pas de voir patauger dans cette tourbe -c'est son biotope) Or cette chasse aux Rroms n'est pas seulement odieuse -elle est aussi, même du point de vue le plus cynique, stupide : la droite traditionnelle, et en particulier le parti libéral à l'origine de la loi «anti-mendiants» genevoise, a perdu les élections municipales à Genève et Lausanne. Elle n'en poursuit pas moins sur sa lancée : Qui, à gauche, a vu à la télé Pierre Maudet parader fier comme Artaban devant les malheureux policiers municipaux commis aux basses oeuvres de l'épuration antitzigane (et se retrouvant devant la justice pour répondre d'actes à la légalité douteuse, précisément à l'encontre des Rroms), n'aura plus la tentation de voter pour le « seul candidat de la droite qui ait refusé une alliance électorale avec l'extrême-droite ». Parce que s'il a refusé l'alliance électorale explicite avec les partis, il n'a pas craché sur l'emprunt politique, à cette même extrême-droite, de son discours épurateur, et, pour dire le moins, à forts relents racistes. On ne passe pas d'accord avec l'UDC et le MCG ? On passe un deal médiatique avec leur électorat. Mais qu'on ne s'y trompe pas : au « centre », et même à gauche, la tentation est forte d'aller patauger dans la même soue, pour les mêmes raisons, trivialement électoralistes. Le porte-parole de l'évêché de Lausanne, Genève et (surtout) Fribourg a beau recommander aux fidèles de ne pas faire l'aumône aux mendiants, on ne manquera pas de partis politiques, de candidats et d'élus prêts à tendre, non le gobelet mais l'urne, en quémandant le vote qui les fera élire, ou leur donnera une majorité. « L'ambition souvent fait accepter les fonctions les plus basses : c'est ainsi qu'on grimpe dans la même posture que l'on rampe», écrivait déjà ce vieux cynique de Jonathan Swift. Les fonctions, ou les alliances : il y a des votes qui puent, et des soutiens qui déshonorent plus sûrement ceux qui les quémandent que, selon l'évêché, l'aumône donnée au mendiant.

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