Budget de la Ville de Genève : vers les "douzièmes provisionnels"

Recours des mécomptes

Mercredi soir, le Conseil Municipal votera un arrêté, proposé par le Conseil administratif, introduisant le système des « douzièmes provisionnels » après le « gel » par le canton du budget municipal (pourtant précédemment approuvé par ledit canton, à une ligne et une remarque près) au prétexte d'un recours déposé par la Ville contre le refus du canton de la laisser verser à de nouveaux bénéficiaires une allocation complémentaire aux allocations cantonales aux rentiers AVS-AI. L'approbation cantonale du budget de la Ville a été « gelée » par le Conseil d'Etat, qui aurait pu ne « geler » que la ligne qu'il contestait mais qui, faisant dans la congélation en gros, a bloqué un budget de plus d'un milliard, pour une ligne de dix millions, comme pour punir la Ville de son recours et la pousser à le retirer -ce que la droite municipale, mais aussi apparemment les Verts et une partie d'Ensemble à gauche souhaitent désormais, mais qu'une (encore) majorité du Conseil administratif refuse (encore), puisque le recours en question n'est que la traduction en une procédure juridique d'une démarche politique et sociale voulue par la majorité du Conseil Municipal...

Recours toujours...

Le passage d'un budget annuel normal aux « douzièmes provisionnels », on le votera. De toute façon, si on ne le votait pas, le canton l'imposerait (il en brûle d'envie). Et puis, cet artifice consistant à reprendre le budget de l'année précédente découpé en tranches mensuelles ne remet en cause ni les droits du personnel, garantis par un statut déjà en vigueur, ni l'intégration d'une partie du personnel du Grand Théâtre au personnel municipal, ni les mécanismes salariaux (un crédit budgétaire permettra de les assurer), ni les subventions existantes, maintenues cependant à leur montant de l'année dernière. Et si des dépenses supplémentaires sont jugées nécessaires, elles peuvent faire l'objet de crédits budgétaires en cours d'année. On est donc un peu dans la péripétie. Au-delà de quoi, cependant, se pose une vraie, bonne et lourde question de fond : Celle des prestations sociales municipales. « On ne voit pas pourquoi une commune n'aurait pas la légitimité d'en faire davantage que d'autres pour certains de ses nécessiteux », écrit l'éditorialiste de la Tribune de Genève de vendredi dernier. Mais si, mais si, on voit très bien pourquoi : parce qu'en le faisant, cette commune ne met pas seulement en évidence ce qu'elle fait, mais aussi, et surtout, ce que les autres ne font pas. Les autres ? les autres communes, et le canton. Une répartition technocratique des rôles avait été négociée entre le canton et les communes (y compris la Ville), les aides individuelles étant de la compétence du premier, les secondes assumant le financement de l'action communautaire (au lieu de verser des aides individuelles, la Ville pourrait donc subventionner une fondation qui, heureuse coïncidence, se chargerait d'accorder des aides individuelles ?). C'est bien beau, ce genre de division du travail, mais cela ne peut fonctionner que si chaque partenaire fait précisément son travail. Or si la Ville s'est chargée de verser des aides individuelles, c'est bien que celles accordées par le canton n'étaient pas suffisantes. Autrement dit, que le canton ne faisait pas sa part de travail, et laissait des milliers de personnes ne disposer que d'un revenu insuffisant, ce qu'il admet d'ailleurs lui-même puisqu'il autorise la Ville à continuer à verser ses prestations à celles et ceux qui en bénéficient déjà, alors même qu'il prétent que ces prestations sont illégales. La seule question qui importe, et à laquelle, évidemment, le Conseil d'Etat ne répond pas, est celle-ci : comment se fait-il que dans cette Ville, dans un canton qui pèse à lui seul le tiers du produit régional brut romand, des milliers de personnes aient besoin que la Ville leur verse une aide de 185 francs par mois pour leur éviter de tomber au-dessous du seuil de pauvreté ? Que la plupart des autres communes ne fassent pas ce que la Ville fait ne justifie nullement la demande faite à la Ville de cesser de le faire, mais devrait plutôt justifier que l'on impose aux communes déficientes de le faire aussi. Il n'y a donc pour nous aucune raison de renoncer au maintien des prestations municipales, telles que nous les avons voulues, et défendues jusqu'à présent, pas plus qu'il n'y a de raison de demander au Conseil administratif de retirer le recours qu'il a déposé contre la décision du Conseil d'Etat de n'autoriser la Ville à verser sers prestations qu'à celles et ceux qui les reçoivent déjà. Alors, recours toujours ? Disons que c'est l'affaire du Conseil administratif actuel, et de ses majorités parfois improbables... Mais disons aussi qu'il n'y a aucune raison, sinon la docilité au bailli, d'y renoncer, à ce recours, d'autant que dans cette affaire, le Conseil d'Etat se pose en juge et partie (c'est sur un recours contestant l'une de ses décisions qu'il s'appuie pour suspendre le budget de la Ville). Au fond, le recours qui énerve tant le Conseil d'Etat n'est que la traduction en une procédure juridique du choix politique de la Ville de pouvoir verser les allocations qu'elle a budgétées à toutes celles et tous ceux qui y ont droit, parce qu'elles et ils en ont besoin. Ce que la droite municipale considère comme de l'« arrogance » et de l'« obstination » ne manifeste en réalité que la volonté de la Ville de continuer à faire son travail (si une majorité politique existe encore pour qu'elle le fasse), même si (ou parce que) le canton et la plupart des autres communes ne font pas le leur.

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