Les Renifleurs de futurs Suisses résistent

Une étrange alliance s'est nouée au Conseil Municipal de la Ville de Genève, lundi soir, pour maintenir une « commission des naturalisations » que l'on proposait de supprimer, compte tenu de son inutilité, mais à laquelle une majorité de conseillères et de conseillers municipaux de tous bords semble si attachés qu'ils proposent de la sanctuariser. Le vote a transcendé allégrement les clivages politiques : une majorité des groupes « Ensemble à gauche » et socialiste s'est ralliée à l'UDC pour maintenir la commission des « faiseurs de Suisses » (qui ne peuvent d'ailleurs plus que les renifler, puisque désormais c'est le canton qui « naturalise »), contre une minorité formée de l'Entente, des Verts et de queles élu-e-s socialistes et de solidaritéS. A quoi rime un vote aussi contestable sur le fond qu'étrange dans sa configuration et absurde dans ses effets ?

De la naturalisation par les urnes à la nationalité par les burnes

La gauche en général, et les socialistes en particulier, défendent depuis des décennies une conception de l'acquisition de la nationalité par le droit du sol plutôt que le droit du sang, ce qui en ferait un acte administratif de même nature, individuelle et concrète, qu'un acte d'état civil, plutôt qu'un acte politique. C'est au nom de cette conception que nous avions appelé à refuser le projet udéciste de généraliser le prononcement en votation populaire sur chaque demande de naturalisation. Mais si la Suisse a finalement refusé la «naturalisation par les urnes», elle ne s'en accroche pas moins à la nationalité par les burnes -à la nationalité par filiation, vieille lune tribale germanique si profondément ancrée dans notre cerveau reptilien collectif que même des militantes et des militants de gauche lèvent leurs morgensterns pour défendre, et à Genève qui plus est, l'existence et l'essence d'une «commission des naturalisations» parfaitement superfétatoire, mais qui permet à ses membres de se prendre pour des Schweizermacher le temps d'une rencontre avec un-e candidat-e à la naturalisation qui ignore le plus souvent que cette commission folklorique ne peut délivrer que des préavis illusoire, qui ne seront même plus requis dans quelques années. Par rapport à sa population étrangère, la Suisse naturalise moins, et plus difficilement, que la plupart des pays européens. En exigeant actuellement des candidats à la naturalisation ordinaire au moins douze ans de résidence helvétique (même si les années entre dix et vingt ans comptent double), la Suisse fait partie des pays les plus restrictifs (la naturalisation facilitée, celle des conjoints étrangers de Suisse-sses, exige encore cinq ans de résidence et trois ans de vie conjugale). Comme l'Allemagne et l'Autriche, elle pratique le « droit du sang » (ou plutôt le « droit du sperme » la nationalité se transmettant essentiellement par filiation), par opposition au «droit du sol» (la nationalité s'acquiert par la naissance sur le sol du pays) pratiqué aux USA, au Canada, en Amérique du Sud et en Australie et, sous une forme atténuée, en France et en Italie, par exemple. Cette difficulté d'acquisition de la nationalité a pour conséquence mécanique une proportion d'étrangers bien plus forte en Suisse que dans les pays voisins : des femmes et des hommes qui, en France par exemple, acquerraient la nationalité du lieu par le fait d'y être né doivent se soumettre en Suisse à un parcours bureaucratique (et payant), dont fait encore partie la rencontre avec les « commissaires aux naturalisations » -un parcours qui, dans les faits, exclut de la nationalité suisse entre un quart et un tiers des ressortissants étrangers qui y vivent. En clair : un-e étranger-e sur quatre, en Suisse, devrait être de nationalité suisse. Et la situation ne va pas s'arranger si le projet de loi du Conseil fédéral sur la nationalité est accepté. Ce projet en effet, mélangeant allégrement acquisition de la nationalité et intégration des étrangers, en tantant, sans même y arriver totalement, de complaire à l'UDC, maintient le « droit du sang », en colmatant même les quelques brèches qui y avaient été faites (les petits-enfants d'une Suissesses ne pourraient ainsi plus bénéficier d'une procédure facilitée d'acquisition de la nationalité suisse). L'UDC a profité en outre de la procédure de consultation sur le projet de loi pour préconiser des possibilités étendues, prohibées par la convention du Conseil de l'Europe sur la nationalité, de « dénaturaliser » (de priver de la nationalité suisse). Les quelques avancées du projet de nouvelle loi sont en outre combattues par la droite de la droite (UDC, droite du PLR) -ainsi de l'abaissement du délai de résidence de douze à huit ans. Dans ce contexte, à quoi rime l'attachement fétichiste du Conseil Municipal de la Ville de Genève (et d'une bonne partie de sa gauche) à l'existence d'une « Commission des naturalisations » et à quoi sert cette commission, sinon à produire des jetons de présence pour ses membres, et à leur donner l'illusion de servir à quelque chose dans un processus qui leur échappe totalement ?

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