A propos d'un passage de témoins


Une politique sociale : la politique culturelle

Dans une semaine, la Ville de Genève aura une nouvelle « ministre des Affaires sociales », et un nouveau « ministre de la Culture » : la Verte Esther Alder succèdera au socialiste Manuel Tornare à la tête du dicastère de la « cohésion sociale » , le socialiste Sami Kanaan au Vert Patrice Mugny à la tête du dicastère de la Culture (et des sports...). Et si ce passage de témoin, entre magistrats de gauche, pouvait être l'occasion d'une mise en cohérence de deux actions politiques qui trop souvent s'ignorent, ou du moins se mènent parallèlement sans jamais réellement se rejoindre ? Que la politique culturelle soit, aussi, une politique sociale devrait, pour la gauche, tomber sous le sens, mais les fonctionnement institutionnels ont des raisons que la raison politique subit comme des entraves


La culture contre l'exclusion sociale


Que la Ville de Genève soit la première responsable de la politique culturelle à Genève a pour conséquence logique que les principales institutions culturelles de la région sont concentrées en Ville, et même, pour un grand nombre d’entre elles, au centre même de la Ville. Les quartiers périphériques sont aussi des quartiers désertés par l’institutionnalité culturelle, surtout s’ils ne font pas partie de la commune-centre (la Ville), alors que la présence d’un « grand » lieu culturel dans ces quartiers serait un atout incontestable dans la lutte contre l’exclusion sociale. Le tissu culturel régional, c’est-à-dire l’ensemble des lieux et acteurs culturels publics et pérennes, dotés d’une programmation autonome et formant l’infrastructure culturelle régionale, ainsi que les intervenants culturels non-instiutionnels, pourrait, et devrait, être un point d’appui essentiel de la lutte contre l’exclusion sociale. Il ne peut cependant jouer ce rôle que si son « maillage » recouvre l’ensemble des quartiers, que si les institutions et les intervenants culturels s’adressent à l’ensemble de la population et non à une seule partie d’entre elle, et que si les quartiers socialement les plus fragiles ne sont pas exclus du maillage des institutions culturelles proprement dites, leur absence dans les quartiers défavorisés socialement et urbanistiquement ajoutant à leur défaveur (on précisera cependant que parce qu'elle est la seule institution culturelle présente dans tous les quartiers, qu'elle est ouverte par définition et par obligation légale à tous les milieux sociaux, qu’elle est un lieu de « brassage » social et qu’elle est fondée sur le choix volontariste de la mixité sociale, l’école publique obligatoire est le premier lieu culturel de lutte contre l’exclusion sociale). La première des conditions d'un usage de la politique culturelle comme politique sociale serait donc de cesser de concentrer les moyens disponibles sur les seules grandes institutions existantes et de concentrer celles-ci en Ville, mais de rassembler pour le financement de ces institutions des moyens actuellement épars, dans le cadre d'une politique d’implantation d’institutions culturelles dans des quartiers et des communes qui en sont dépourvus. Que l’essentiel de la vie culturelle genevoise soit pris en charge par la Ville n’est pas en soi absurde, et relève même, outre de l’héritage, d’une certaine logique, cette commune étant la commune-centre de la région, celle qui définit la région et autour de laquelle la région est organisée. Mais l’ « essentiel » ne doit pas être la totalité, ni le réflexe de centralisation géographique un automatisme. Que la charge matérielle du soutien aux institutions culturelle repose pour l’essentiel sur un seul « porteur », la Ville de Genève, fait courir un risque aussi grave que celui de la fragilisation de ces institutions par cette dépendance : le risque, accru par la « droitisation » du Conseil Municipal de la Ville, de l’abandon de la culture non institutionnelle, de la « culture pauvre », des cultures de l’immigration, de la culture alternative, de la culture d’expérimentation. Or pour les groupes sociaux fragilisés, la participation à cette culture-là est précisément celle qui, dans un premier temps au moins, est la mieux, et parfois la seule, à même de maintenir un lieu social -d’autant qu’elle est souvent faite d’emprunts à la culture de ces milieux eux-mêmes. Et puis, plus fondamentalement, il y a ceci : la création culturelle est créatrice du lien social, qu’elle exprime en même temps qu’elle en invente les nouveaux codes, et en conteste les anciens. Qu’attend la collectivité d’une politique culturelle : qu’elle exprime et pérennise le lien social existant, dans ses codes existants, ou qu’elle exprime la recherche d’un lieu nouveau et l’invention de codes nouveaux ? Qu’elle expose le patrimoine et se contente de cette exposition, par ailleurs indispensable et constitutive de toute politique culturelle, ou accepte d’y ajouter l’exposition, la mise en scène sociale, des contenus culturels non (encore) reconnus comme tels ?

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