« Révolution dans l'asile politique » en Suisse ?

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La ministre socialiste de la Justice et de la Police (et de l'asile), Simonetta Sommaruga, a remis un rapport à la Commission des institutions politiques du Conseil des Etats, rapport qui propose, à choix (ou à conjugaison) trois options pour le traitement des requêtes d'asile déposées en Suisse : un statu quo amélioré avec poursuite de la répartition des requérants entre les cantons, la création de centres fédéraux regroupant tous les requérants pendant toute la durée de la procédure d'examen de leur requête, ou la création, toujours, de centres fédéraux pour un premier examen, la répartition entre les cantons se faisant ensuite après élimination des requêtes n'ayant aucune chance (mais qui décide de cette absence de chance, et sur quels critères ?) d'être acceptées. But de l'exercice : accélérer les décisions, concentrer les requérants. « Simonetta Sommaruga propose une révolution dans le domaine de l'asile », écrit l'éditorialiste de la « Tribune de Genève ». Une révolution, vraiment ? Ou plus simplement, une rotation plus rapide des stocks ?

Unanimité de façade et lâche soulagement

Il faut aujourd'hui à un requérant d'asile 1400 jours, en moyenne, pour recevoir une réponse définitive à sa requête. Quatre ans d'attente, pour une réponse le plus souvent négative. Les propositions de Simonetta Sommariga permettraient de réduire ce délai au dixième de ce qu'il est : 140 jours pour recevoir une réponse. Qui sera toujours le plus souvent négative. S'il s'agissait d'éviter de maintenir les requérants dans une incertitude et une précarité interminables, de leur donner rapidement une réponse claire, nette, fondée sur un examen sérieux de leur demande, dans le respect de leurs droits et de leur accès aux voies de recours contre cette décision, s'il s'agissait donc de ne plus les traiter comme une masse d'importuns a priori abuseurs du droit d'asile, menteurs sur leur situation et prêts à tout pour parasiter notre mirifique système d'assistance sociale, nous serions ici les premiers à applaudir à la proposition de la Conseillère fédérale socialiste. Mais un lourd doute, tout de même, nous tenaille. Et ce doute naît de l'approbation quasi unanime que cette proposition a recueillie, de l'organisation suisse d'aide aux réfugiés (OSAR) à l'UDC. Dans un pays qui depuis un quart de siècle n'a cessé de mettre des barrières à l'entrée des réfugiés, des conditions de plus en plus contraignantes au dépôt des demandes d'asile, des cautèles bureaucratiques à l'examen de ces demandes, et des restrictions à l'octroi, de plus en plus exceptionnel, du statut de réfugié, cette unanimité a quelque chose de suspect. Quelque chose d'un lâche soulagement : on va, et pas sur proposition d'un UDC mais sur proposition d'une socialiste, accélérer les procédures, rassembler les requérants, renforcer les compétences de la Confédération, égaliser les pratiques cantonales (mais sans doute vers le bas, au niveau des pratiques des cantons les plus xénophobes, ce qui explique sans doute les applaudissements reçus de l'UDC), pour enfin pouvoir ne plus se préoccuper de la question de l'asile. Croit-on. Croit-on vraiment, à l'instar du Conseiller d'Etat vaudois Philippe Leuba, qu'« accélérer la procédure permettra d'envoyer un message clair sur notre politique à d'éventuels futurs requérants d'asile » ? Comme si l'arrivée de nouveaux requérants était une « éventualité » et pas une certitude. Et comme si ces nouveaux requérants arrivaient en connaissant les procédures locales d'octroi (ou de refus) de l'asile. Unanimité, donc, pour soutenir les propositions de la Conseillère fédérale. Mais une unanimité qui ne tardera pas à s'effriter, à se lézarder, à se rompre, lorsque le moment viendra de préciser les modalités de la nouvelle prise en charge fédérale de l'asile : où installera-t-on les centres fédéraux proposés ? Dans la plaine de l'Aire ? Personne ne les veut chez soi, si tout le monde semble accepter qu'on en installe. Mais ailleurs. Et puis, qui paiera ? On sent déjà poindre comme une tentation d'en faire supporter une partie des charges aux cantons... Et combien de nouveaux fonctionnaires faudra-t-il engager, quand les mêmes qui applaudissent aux propositions de la Conseillère fédérale répugnent par principe à tout engagement de personnel public nouveau ? « Simonetta Sommaruga veut révolutionner l'asile », titre la Julie. « Révolutionner l'asile », rien que cela. L'asile politique, s'entend, pas l'asile psychiatrique, encore que le discours tenu sur le premier par une bonne partie de la droite helvétique relève parfois, à force de paranoïa, des compétences médicales rassemblées dans le second.

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