36 % de détenu-e-s en moins à Champ-Dollon : L'obsolescence des geôles et l'obstination des geôliers

La nouvelle procédure pénale, entrée en vigueur au début de l'année, a eu un effet boeuf : elle a réduit de 36 % le nombre de détenus à Champ-Dollon, de 44 % au Bois-Mermet, de 38 % en Valais, puisque désormais seuls les délits les plus graves, et les crimes, mènent celles et ceux qui en sont soupçonnés en détention préventive. Et la ministre (socialiste) valaisanne de la Justice, mieux inspirée à ce sujet que dans l'affaire Rappaz, de s'en réjouir: « construire sans cesse de nouvelles prisons n'est pas une solution ». N'ayant jamais dit autre chose, il ne nous reste qu'à en convaincre les carcéromaniaques genevois, pour qui tant qu'on aura pas prévu une place en prison pour 500 habitants, on ne sera jamais que des dilettantes laxistes.

Bonne nouvelle : la procédure pénale vide les prisons

C'est ironique et paradoxal, mais c'est une bonne nouvelle : la nouvelle procédure pénale fédérale, s'imposant aux cantons, a provoqué une chute libre des mises en détention provisoire dans au moins trois cantons romands : 37 % d'incarcérations en moins dans le canton de Vaud, 25 % en moins à Genève et à Fribourg. C'est que cette nouvelle procédure impose des conditions bien plus restrictives que les anciennes, cantonales, à l'engeôlement des suspects (car ils ne sont encore que des suspects, présumés innocents tant qu'ils n'ont pas été condamnés). Et qu'on ne peut donc plus expédier un prévenu à Champ-Dollon ou au Bois-Mermet simplement pour le confort de l'avoir sous la main. Plus du tiers des détenus de Champ-Dollon étaient remis en liberté après moins d'une semaine de gnouf, et n'étaient souvent condamnés qu'à une peine avec sursis, ce qui signifie qu'ils n'avaient rien à faire en prison, sinon contribuer à l'augmentation de la surpopulation carcérale et justifier ainsi, indirectement, la frénésie de construction de nouvelles prisons qui s'est à Genève emparée du monde politique. Il y a désormais moins d'entrée à Champ-Dollon, et moins de « tournus » (les prévenus y restent plus longtemps parce leur cas est jugé assez grave pour qu'on les y maintienne, ou que les risques de fuite, de récidive ou de collusion sont avérés et prouvés). Le procureur Graber reconnaît ne plus soumettre au nouveau tribunal des mesures de contrainte les cas «bagatelles » (du genre mendiants, petits dealers, petits voleurs) et se contenter de condamnations par ordonnances pénales n'impliquant pas une incarcération immédiate. Le criminologue vaudois André Kuhn se félicite de cette évolution, qui redonne à la détention provisoire le rôle qu'elle est supposés avoir, évite d'en faire une punition avant jugement, et traduit dans la procédure le principe de la présomption d'innocence. Pour autant, il ne faudrait pas croire que, vidant les prisons, la nouvelle procédure pénale dissuade les politiciens d'en construire : justifiant la prolifération de projets de nouvelles tôles à Genève, avec pour objectif apparent d'en arriver le plus rapidement possible à une place de geôle pour 500 habitants, la Conseillère d'Etat Isabel Rochat interprète à sa manière les statistiques, en affirmant dans Le Courrier du 20 novembre dernier que l'« augmentation des places de détention répond à une réalité démographique ». Mais quelle réalité démographique ? Il y a trente ans, 300 places de détention suffisaient, il en faudrait 1000 aujourd'hui, la population du canton aurait donc triplé en 30 ans ? En réalité, elle n'a augmenté que d'un quart... la seule chose qui avait peut-être triplé, ou quadruplé, ou quintuplé, c'est la frénésie carcérale de la justice, désormais entravée par la procédure pénale. Multiplier les prisons relève du confort intellectuel, de la solution de facilité, du réflexe ou de la pulsion, certainement pas de la « réalité démographique »... La société stocke en prison (et en asile) les problèmes qu'elle est incapable de résoudre -ou qu'elle refuse, délibérément, de gérer. L'archipel pénitentiaire est un dépotoir : on y met ce qu'on ne veut pas voir, ou qu'on ne sait traiter autrement que par le stockage auquel on s'y livre. « Le système carcéral reste une boîte noire. On ne réfléchit pas à ce qui s'y passe et à ce qui devrait s'y passer », résume la pénaliste Brigitte Tag. On réfléchit encore moins à quoi peuvent bien servir les « boîtes noires » qu'on empile : Un enfant de trois ans sait ce qu'il veut faire avec ses legos, mais une République de cinq siècles semble empiler ses « boîtes noires » pour le seul plaisir de les empiler.

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