De l'indignation à l'insoumission



Parti d'Espagne, essaimant au Portugal, en Grèce, en France, en Belgique, le mouvement des « Indignés » aura samedi prochain 4 juin un prolongement en Suisse*, en reprenant la conclusion du manifeste espagnol : « A la vue de cela, je suis indigné/e - Je crois que je peux le changer - Je crois que je peux aider - Je sais que, tous ensemble, on le peut - Sors avec nous. C’est ton droit ». Ce mouvement est, pour la gauche -toute la gauche- porteur d'espoir, parce qu'il est porteur de la critique de la gauche et de la dénonciation des renoncements du réformisme et des impuissances du révolutionnarisme. Ce qu'il fera de cette critique, et ce qu'il fera de sa force, dépendra de sa capacité à résister aux récupérations, et sa détermination à passer de l'indignation à l'insoumission.
* Berne : 14h00 Devant le parlement / Genève : 14h00 Place Neuve / Neuchâtel : 14h00 Sortie du funambule / La Chaux-de-Fonds : 14h00 devant l'Espacitié / Bienne, Fribourg, Lausanne, Sion, Zurich : 14h00 Lieux é préciser (surveillez facebook)

« On aura touché la dernière limite de la perfectibilité, alors seulement que le droit du plus faible aura remplacé sur le trône le droit du plus fort » (Auguste Blanqui)

Ce que nous dit le mouvement des « indignés », c'est ce que nous sommes -ou plutôt, ce que nous ne sommes plus. Car s’il fallait en un mot qualifier l’état de la gauche politique en Europe, et plus précisément encore l’état de ses partis et organisations, nous userions sans doute du mot «débilité», en son strict sens : une faiblesse maladive. Certes, cette débilité des partis de gauche ne les frappe pas eux seuls : depuis la Guerre Mondiale, les partis politiques ne sont plus nulle part dans notre monde (celui du « centre », celui qui se qualifiait lui-même, et lui seul, de « développé »), les lieux de l’inventivité sociale, et tout au plus pouvaient-ils encore être les réceptacles de la créativité sociale telle qu’elle s’exprimait –et s’exprime encore- ailleurs, en ce moment dans le mouvement des « indignés », à qui il ne manque que la force, ou la volonté, de passer de l'indignation à l'insoumission. Faute de quoi, s'éteignant comme tant de mouvements sociaux de ces vingt dernières années, il n'aura été que le vivier dans lequel les organisations existantes d'une gauche dont les « indignés » dénoncent les renoncements puiseront des miulitantes et des militants, des cadres, des élues et des élus. Comme elles le font depuis 1968. Comme depuis 1968 les partis socialistes finissent par « récupérer », sans avoir à faire le moindre effort pour cela, les militantes et les militants révolutionnaires fatigué-e-s des impuissances de leurs propres organisations, de leurs rhétoriques compensatoires de ces impuissances, et de l'hypocrisie de ces rhétoriques masquant un ralliement honteux à des lignes social-démocrates vernies de discours dénonçant la social-démocratie. Nous sommes nombreux à tomber d’accord sur le constat, fait par les mouvements d' « indignés », de l’inacceptabilité du monde tel qu’il est, de la société telle qu’elle est, des règles du jeu social telles qu’elles nous sont imposées. Nous savons (pour avoir choisi d'en être, faute de mieux) que la « gauche », de la social-démocratie au « communisme », sans excepter les Verts, a pris sa part de la construction de ce monde, de la constitution de cette société et de la définition de ces règles. Nous conviendrons enfin que nous ne sommes pas sortis du capitalisme, et que notre problème est toujours celui que se posèrent les fondateurs du mouvement ouvrier international : celui du dépassement du capitalisme. Mais nous ne nous trouvons plus dans la situation ni dans le rôle de ces grands anciens. Si le problème est toujours celui du capitalisme, et si nous persistons à penser sa solution par le socialisme, nous devons aussi admettre que la gauche telle qu’elle est fait désormais partie du problème, non plus de la solution, que s’il venait aujourd'hui à la populace l’idée de reprendre une Bastille, il y aurait quelque risque que son gouverneur fût socialiste et que sa tête ornât une pique populiste. Il nous faut par conséquent faire ressurgir une gauche qui, pour être porteuse d’une réponse socialiste au capitalisme, soit aussi radicalement socialiste que radicalement anticapitaliste. Or nous savons que ces deux radicalités ne se confondent pas. Il nous importe donc de préciser les conditions de leur conjugaison, hors de quoi le projet socialiste se dissoudrait dans la quotidienneté des pratiques institutionnelles, et l’anticapitalisme dans la démagogie des populismes réactionnaires. De la gauche, « on » attend beaucoup : plus de justice, plus de liberté(s), plus de solidarité(s), mais surtout qu’elle soit fidèle à ce qu’elle proclame, fasse ce qu’elle a promis, respecte ce à quoi elle a formellement adhéré –bref, comme dirait le fils de Germinal : fasse ce qu’elle a dit et dise ce qu’elle fait. Cette attente a sa logique, et cette logique n’est pas celle du pouvoir. L’exercice même du pouvoir, ou du moins (et parfois à défaut) l’adhésion à ses rites, ses pompes et ses ors, éloigne durablement la gauche de sa propre base, jusqu’à finir par l’éloigner du pouvoir réel à moins qu’un nouvel accès de stupidité politique de la droite ne l’y maintienne ou l’y ramène, dans un désabusement politique à peu près général, comme de deux maux l’on choisit le moindre, ou comme l’immobilité peut valoir mieux que le recul.

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