Election partielle à la Cour des (mé)Comptes : gauche contre gauche

Cachez cette politique qu'on ne saurait voir ?

Election partielle en septembre à la Cour des Comptes, huit mois avant l'élection générale, celle de tous les titulaires et suppléants de la Cour. Il ne s'agissait que de garder au chaud un siège de gauche pendant huit mois, pour revenir, au printemps 2012, avec une liste complète, rassemblant des candidats de toutes les forces de l'Alternative (d'où, forcément, les habituelles simagrées de premiers communiants à l'égard de ces listes unitaires « arrogantes » par lesquelles, lorsqu'elle en présente, l'Alternative se révèle généralement capable de faire passer tous ses candidats). Pour la « partielle » de cet automne, il suffisait de choisir le candidat le mieux à même de battre le candidat de l'Entente. Au lieu de quoi l'Alternative présente deux candidats. Pour un seul poste, donc. Un job sharing ? Non, seulement l'incapacité de se mettre d'accord sur une candidature unique, face à celle d'un vieux briscard de droite. On avait lancé il y a quelques semaines un appel à « sauver l'Entente ». On ne pensait pas être entendus si vite. Ni d'ailleurs entendre, pour justifier la demande de retrait de l'une des deux candidatures de gauche, des arguments aussi consternants, surtout lorsqu'ils sont émis par des militants de gauche, que « cette candidat est trop politique », « faut pas provoquer la droite »...

« Toute action n'est pas vaine, toute politique n'est pas sale »

On ne devrait pas, mais on va vous parler politique. On ne devrait pas, parce que c'est pas bien, la politique. On ne devrait d'ailleurs pas non plus être membre d'un parti politique. C'est suspect, un parti politique. On ne devrait même pas « faire de la politique ». C'est sale. Et on devrait finalement pas écrire ici d'un enjeu politique : c'est limite porno, un enjeu politique. Mais bon, au point où on en est, on n'a plus beaucoup de respectabilité à perdre, alors... Or donc, en septembre, une élection partielle à la Cour des Comptes passionnera (si, si) Genève toute entière. Il s'agira de repourvoir au poste laissé vacant par une juge démissionnaire, présentée à l'époque par le PS et soutenue par les Verts et « A Gauche Toute ! ». La droite revendique ce siège vacant, et y présente un candidat (un vieux libéral, député, ancien Maire). Le PS veut repourvoir ce siège et y présente un candidat (son président, en congé de sa présidence pour l'occasion, ancien député, ancien Conseiller national, ancien Maire). Enfin, SolidaritéS aussi revendique ce siège et y présente un candidat (un juge). Et le MCG affirme vouloir y soutenir un candidat de l'UDC, actuel Conseiller national, si l'UDC le présente. Total, quatre. Pour un siège. Le candidat de droite est soutenu par les deux partis de l'« Entente ». S'il a affaire à deux candidats de gauche divisant le poids électoral de l'Alternative, le candidat de droite passe. Jusque là, on est dans la bête et triviale arithémétique, celle des blocs électoraux, qui devrait conduire la gauche à ne présenter qu'une seule candidature, celle qui a le plus de chance de rassembler le plus d'électrices et d'électeurs. On vous dira pas à laquelle on pense, zavez qu'à deviner vous-même... mais voilà : un seul candidat, pour la gauche genevoise, dans cette élection, c'est un monde à moitié dépeuplé. Et on se retrouve avec nos deux candidats de gauche, face au candidat de la droite unie et à un éventuel figurant d'extrême-droite pressé de sortir de sa voiture-balai fédérale et de sa voie de garage municipale. L'histoire, si on en restait là, ne serait que stupide. Elle devient affligeante lorsque l'on entend les arguments déployés pour récuser la candidature du «politique » socialiste : c'est pas une élection politique, faut pas lui donner une coloration politique, faut mettre son drapeau dans sa poche, la jouer profil politique bas... Pas politique l'élection de la Cour des Comptes ? c'est une élection populaire, au scrutin majoritaire, gauche contre droite, avec des candidats présentés par des partis. Pas politique, la Cour des Comptes elle-même ? Cette institution, créée par une décision politique, est chargée d'enquêter sur ce que font de leurs ressources toutes les collectivités publiques, toutes les régies, toutes les institutions publiques. Ce n'est pas un tribunal : elle ne juge pas, ne condamne pas. Elle examine, étudie, rend des rapports publics, sur lesquels s'appuie ensuite l'action publique. Et ca ne serait pas politique ? Et qu'est-ce que c'est que ce discours, tenu non seulement par les Verts, ce qui ne surprend guère, mais aussi par des militants de la « gauche de la gauche », sur le danger de présenter un candidat « marqué politiquement» ? Depuis quand la gauche cultive-t-elle l'apolitisme ? Depuis quand doit-elle recommander à ses militantes et militants, ses mandataires, ses élues et ses élus, de se fondre dans la grisaille ambiante, comme s'il nous fallait admettre que « la politique, c'est sale », que ça doit se faire en cachette, qu'il est honteux d'avoir exercé un mandat politique et qu'être « politisé » est une tare ? Comme si nous n'étions même plus capable de dire, de faire comprendre, de convaincre que : non, « toute action n'est pas vaine, toute politique n'est pas sale »... elle n'est pourtant pas d'un révolutionnaire cette sentence, mais d'un réformiste, cohérent certes, rigoureux comme peu le furent, habité par l'idée qu'il se faisait des mandats qu'il revendiquait, -mais il semble que pour une partie de la « gauche de la gauche » genevoise de 2011, la phrase de Pierre Mendès-France soit encore d'une trop grande impudence et qu'il faille se présenter à une élection populaire comme à une cooptation corporatiste, en tenant un discours technocratique face auquel la plus prudente des affirmations réformistes passera pour un brûlot anarchiste, et à côté de quoi on pourra effectivement tenter de faire prendre René Longet pour la réincarnation du Che.Voilà. Pardonnez-nous, on vous a parlé politique. On n'aurait pas dû, on le sait bien. Mais on a mauvais fond. Et depuis si longtemps qu'on n'en changera plus.

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