Rejet des recours contre le CEVA

Perdre du temps, encore ?

Les vingt-deux recours bloquant le début du chantier de la liaison ferroviaire Cornavin-Eaux Vives,Annemasse (CEVA) ont été jugée «irrecevables » et « sans objet » par le Tribunal administratif fédéral, après trois ans de procédure et une année et demie après le « oui » (à plus de 60 %) des Genevoises et des Genevois à ce projet. Ceux qui n'acceptent pas ce vote, et sont près à tout faire pour retarder le début des travaux, peuvent certes encore saisir le Tribunal Fédéral (ils trouveront bien un prétexte, ils en usent de toutes sortes depuis trois ans de procédure), mais il n'est pas du tout évident qu'ils obtiennent ce qu'ils cherchent : non que leur recours soit gagnant, mais seulement qu'il ralentisse le processus de mise en œuvre du projet, et donc sa réalisation, et donc le déferlement sur les beaux quartiers genevois de la racaille d'Annemasse débarquant du train toute animée, forcément, de mauvaises intentions.

Un milliard et demi de ville en plus

Après le rejet des 22 derniers (mais pas forcément ultimes) recours déposés contre le CEVA, le Conseiller d'Etat Mark Muller a lancé un « appel à la raison » des recourants potentiels. Mais les plus enragés d'entre eux ne sont plus en état d'entendre de tels appels, ni de comprendre que le chantier s'ouvrira de toute façon, et que le retard qu'ils pourront encore lui faire prendre en renchérira le coût (leurs recours ont déjà coûté de cette manière des dizaines de millions). Dans la meilleure des hypothèses (les opposants posent les plaques), les travaux pourraient commencer cet automne, pour durer six ans. Si de nouveaux recours sont déposés, le début des travaux sera reporté à l'année prochaine, ou plus tard si l'effet suspensif est accordé aux recourants. Mais début des travaux il y aura -dans trois mois, trois ans, dix ans... après tout, le raccordement des gares de Cornavin et des Eaux-Vives, on l'attend depuis un siècle. Intégré dans le projet CEVA, qui le poursuit jusqu'à Annemasse, il dépend de la réalisation de ce projet, comme en dépend aussi, par exemple, la réalisation de la Nouvelle Comédie. Le jeu en vaut largement la chandelle et son coût d'un milliard et demi, dont 650 millions sont pris en charge par la Confédération. La France y participera. « Les Français ne paieront pas » leur part, affirment les opposants au CEVA (dont les recours quérulents ont déjà renchéri le coût prévisible de la réalisation du projet de 90 millions, par le seul poids du temps perdu. Or non seulement il n'y a aucune raison pour que les Français ne paient pas (le CEVA est autant dans leur intérêt que dans celui des Suisses, et plus encore dans la logique du développement du nord de la Haute-Savoie et du sud de l'Ain que de celui de Genève -et par ailleurs de toute la côte vaudoise), mais même s'ils ne payaient pas, même si la totalité des coûts non assumés par la Confédération étaient à la charge de Genève (y compris les surcoûts dus aux oppositions), le CEVA ne s'en justifierait pas moins -et les hauts cris de ceux qui reprochent aujourd'hui à Genève de ne se penser que comme une métropole rhônalpine, et plus comme le promontoire helvvétique en lequel ils voudraient le voir rivé pour un temps se mesurant à celui des Pierres du Niton, ne changeront rien à la lourde réalité d'une « regio genevensis » de bientôt un million d'habitants, transfrontalière, dont la plus grande partie de la superficie se trouve en France, comme s'y trouvera dans une génération la majorité de la population. Mais le CEVA n'est pas que le moyen d'assurer les déplacements à l'intérieur de cette région, il est aussi structurant, et créateur de ville : autour de ses gares vont se recréer, ou se développer, des quartiers, des commerces, des lieux culturels (la Nouvelle Comédie, aux Eaux-Vives), du passage, du brassage... et du logement... et de la mobilité douce : en favorisant intelligemment la mobilité en général, le développement d'un réseau de trams (ou d'un réseau urbain de trains, un RER, comme le CEVA) favorise aussi le retour du piéton dans la ville, ou pour le dire peut-être mieux, le retour de la ville à la mesure des piétons. Un retour qui refait de la ville un lieu de civilité et de rencontres, et non plus l'addition de parkings, de centres commerciaux et de voies de trafic automobile. Dans la ville, on est avec les autres. Dans sa bagnole, on est généralement seul avec soi-même -et ça n'est pas toujours une fréquentation agréable. Le tram, le RER, est ainsi, pour reprendre une expression de Michel Buthion, « un déclencheur pour repenser la ville » -la repenser comme civitas et non seulelement comme urbs, comme cité et non seulement comme agglomération. Le CEVA, ce n'est pas seulement des gares et des trains. Le CEVA, c'est de la ville en plus. Et c'est sans doute de la ville, bien plus encore que de la « racaille d'Annemasse », que les opposants au CEVA ont peur. Il est donc douteux qu'ils désarment : leur peur est plus ancienne qu'eux-mêmes, elle est celle qui depuis des siècles se défie de la ville, même lorsque ceux qui la cultivent y logent, en se persuadant que leur quartier est encore un village.

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