Pacifisme et socialisme

Tout le monde (ou presque) est pacifiste...

Le pacifisme n'est pas un courant de pensée particulièrement cohérent : tout le monde, à quelques fous furieux près, veut la paix. Ou dit la vouloir, en s'abritant derrière le vieux truisme latin : si tu veux la paix, prépare la guerre. Mais de quelle paix parle-t-on? Quel contenu donner à "la paix" ? La paix des cimetières, celle imposée par lée vainqueur, le conquérant ou le colonisateur, n'est pas celle que construit la justice sociale. Le socialisme est pacifiste. Mais il l'est, ou veut l'être, en construisant la possibilité de la paix sur la justice, l'égalité, les libertés, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Or ces principes, sauf à se contenter de leur proclamation rhétorique, se conquièrent et se concrétisent dans des combats d'où la violence n'a jamais été absente (on ne parle pas de "guerre des classes" pour rien) et où les socialistes n'ont pas toujours été du "bon" côté, et c'est un euphémisme : c'est un gouvernement dominé par les socialistes qui a engagé la France dans la Guerre d'Algérie et couvert la torture.

Pacifiste, le socialisme l'est -mais dans la conduite concrète de la politique, des socialistes au pouvoir ont mené, ou soutenu, ou couvert des guerres, y compris de sales guerres coloniales, face à des mouvements de libération se revendiquant eux aussi, le plus souvent, du socialisme. Et face au fascisme, les socialistes ont pris part, sans état d'âme, à d'autres guerres, légitimes celles-là. Quels liens de cohérence peut-on donc tracer, historiquement et politiquement, entre pacifisme et socialisme, sachant que pacifisme, antimilitarisme et non-violence ne sont pas synonymes, et que si le socialisme est pacifiste, les socialistes ne le sont pas toujours ?
Dans son programme de 1982, le Parti socialiste se déclarait partie intégrante du mouvement de la paix -mais qui se déclare partie intégrante du mouvement de la guerre, sauf, au sein de la gauche révolutionnaire, à évoquer la guerre des classes ?



Le Parti socialiste aujourd'hui : pacifiste et antimilitariste

Pacifisme et antimilitarisme ne sont pas synonymes. Ni, d'ailleurs, pacifisme, antimilitarisme et non-violence. Si tout le monde ou presque est pacifiste, tous les pacifistes ne sont pas antimilitaristes (ni tous les antimilitaristes, pacifistes), ni non-vuiolents. Le PS est, de tradition, antimilitariste. Il s'est résigné en 1935 à admettre le principe de la défense nationale militaire, parce que c'était la clef de la porte d'entrée au gouvernement fédéral (il y mettra encore huit ans). Mais malgré cela, le PS est resté assez foncièrement antimilitariste. Et fin octobre dernier, le congrès du Parti socialiste a adopté, dans le cadre de son programme, toute une série de propositions concernant le destin (glorieux) de notre (glorieuse) armée. D'entre ces propositions, l'une a fait grand bruit : "Le PS s'engage pour l'abolition de l'armée". Elle est suivie de deux autres, qui la précisent : "Aussi longtemps qu'une armée existe, le PS demande la suppression du service militaire obligatoire", et "le service civil doit rester facultatif même après l'abolition de l'armée". Enfin, ultime précision, "les polices cantonales garantissent la sécurité et l'ordre intérieurs. La délégation de tâches policières souveraines à des services de sécurité privés ou à l'armée doit être exclue".


Le Mouvement de la paix

Le mouvement moderne pour la paix, dont le mouvement socialiste affirme être partie prenante, naît dans le sillage des révolutions du milieu du XIXe siècle, et dans le prolongement des mouvements démocratiques et des mouvements d'émancipation nationale -mais aussi dans le prolongement du développement international du capitalisme, et en cultivant la certitude que le libre-échangisme économique va contribuer à pacifier le monde, l'avenir se chargeant de prouver le contraire. Ce mouvement, au départ, n'est pas un mouvement d'opposition, de contestation, mais un mouvement d'approfondissement ou de radicalisation des mouvements démocratiques "bourgeois". Il deviendra un mouvement d'opposition en se liant au mouvement socialiste naissant, pour qui la cause des guerres est à chercher dans ce qui fonde le capitalisme -la concurrence, la course au profit, l'exploitation des travailleurs pour la production d'une plus-value, la mise en concurrence des travailleurs les uns contre les autres. Pour les pacifistes socialistes, en revanche, la condition de la paix est le changement du système social, le remplacement du capitalisme par le socialisme, au sens originel du terme, qui implique l'abolition de la propriété privée des moyens de production. La Ligue internationale pour la Paix et la Liberté est la première organisation internationale du mouvement pacifiste : elle réunit encore des démocrates radicaux et des socialistes (ou des communistes au sens originel du terme), mais
parallèlement à la constitution d'un mouvement pacifiste international (et à celle du mouvement socialiste international, à travers ses deux premières Internationales), se constitue aussi un mouvement antimilitariste : En 1905, des socialistes et des syndicalistes créent ainsi une Ligue antimilitariste suisse. C'est aussi le moment d'un premier essor de l'objection de conscience.


La Grande Guerre et la faillite du pacifisme socialiste

Le grand moment du pacifisme socialioste sera celui du Congrès de Bâle de l'Internationale (la IIème, la socialiste) : on déclare la "guerre à la guerre", on annonce que si une guerre devait éclater en Europe, le prolétariat de chaque pays, et de tous les pays ensemble, y répondra par une grève générale qui empêchera la conduite de la guerre. On sait ce qu'il en advint :deux ans plus tard, la première guerre mondiale éclate. Le prolétariat de chaque pays est enrôlé dans l'armée de son Etat pour faire la guerre au prolétariat de l'Etat d'en face. les partis socialistes (sauf l'Italien et le Serbe) votent les crédits de guerre, les syndicats soutiennent l'effort de guerre, seules des minorités au sein des partis socialistes refusent ce qu'elles considèrent comme une trahison.

La suite se scandera en quatre dates, qui sont aussi des dates de l'histoire du socialiste suisse :
1914 : l'Union sacrée. Les socialistes votent les crédits de guerre.
1915 : conférence de Zimmerwald. Les ailes gauche des partis socialistes dénoncent les Unions sacrées de1914. Le PSS adhère aux thèses de Zimmerwald -c'est un virage à gauche.
1916, conférence de Kienthal : le mouvement né à Zimmerwald se radicalise. Il ne demande plus seulement la fin de la guerre, mais la transformation de la guerre impérialiste en révolution
1917 : révolution russe de février (mars), puis putsch révolutionnaire d'octobre (novembre) : la Russie sort de la guerre pour entrer en révolution. Le PSS salue la révolution russe.
1918 : Grève générale. Elle échoue dans l'immédiat, mais la plupart des points de son cahier de revendication finiront par être réalisés.

La Grande Guerre va mettre à mal deux pacifisme : le pacifisme "bourgeois", qui croyait que le progrès allait rendre la guerre obsolète (entre 1914 et 1918, le progrès a été mis au service du massacre : on a fait pour la guerre avec les découvertes scientifiques et techniques les plus avancées -les gaz, les tanks, les avions), et le pacifisme "socialister", qui espérait que l'internationalisme allait souder les peuples les uns aux autres contre ceux qui veulent les dresser les uns contre les autres : en 1914, l'Internationale Socialiste fait littéralement faillite, et chaque parti socialiste se retrouve (sauf le serbe et, pour deux ans, l'italien) aux côtés de la droite de son pays, contre le parti socialiste du pays d'en face...

Deux lectures :
"Les Thibault" de Roger Martin-du-Gard
"Les cloches de Bâle" d'Aragon



L'antifascisme, la Guerre Mondiale

Le pacifisme n'est pas le défaitisme nila capitulation: la "non intervention" en Espagne puis "l'esprit de Munich", qui justifie au nom du maintien de la Paix l'abandon de la résistance à l'Allemagne nazie, vont "plomber" le pacifisme jusqu'en 1945. Et dès l'arrivée des nazis au pouvoir en 1933, la gauche (sauf précisément cette part d'elle qui est prête à tout pour éviter une nouvelle guerre) fait passer pacifisme et antimilitarisme au second plan de l'antifascisme.

En 1935, le PSS adhère au principe de la Défense Nationale, à la fois pour répondre à la menace fasciste et pour espérer entrer au Conseil fédéral. C'est presque concomitant, à deux ans près, de la signature par les syndicats de la Paix du Travail. En France, c'est le gouvernement du Front Populaire qui lance une politique, trop tardive, de modernisation de l'armée.

La Deuxième Guerre Mondiale n'entraînera pas la même crise du pacifisme que la première, mais c'est parce que le pacifisme est submergé par l'antifascisme. Cependant, l'apparition et le premier usage de l'arme nucléaire, à Hiroshima et Nagasaki, va faire renaître un nouveau pacifisme.

La guerre froide, en figeant les fronts politiques internationaux, les a aussi figés dans chaque pays. La Suisse des années cinquante et soixante est obsessionnellement anticommuniste, et tout antimilitariste, tout pacifiste même, est rangé (et fiché) dans la catégorie des cryptocommunistes. Le mouvement pacifiste n'échappe pas à cette réduction du débat politique : fondé en 1949 pour riposter à la création de l'OTAN, le Conseil Mondial de la Paix est dominé par les communistes, et le Mouvement Suisse pour la Paix par le Parti du Travail. Il réussira tout de même à faire signer l'"appel de Stockholm" pour l'interdiction des armes nucléaires par 250'000 personnes en Suisse, entre 1950 et 1953.

Le PS, lui, du moins majoritairement, a rompu avec son antimilitarisme originel, et se contente pendant plus de trente ans (jusque dans les années qui suivent 1968) de proposer une réforme de l'armée, et de vouloir modérer les dépenses militaires. Il s'est néanmoins engagé, aux côtés du mouvement pacifiste, contre la tentative de doter la Suisse d'armes nucléaires.
En 1958, en effet, le Conseil fédéral se prononce pour l'équipement nucléaire de l'armée suisse. En réponse est fondé, par des pacifistes chrétiens, socialistes, syndicalistes, le Mouvement suisse contre l'armement atomique, à l'origine des annuelles "marches de Pâques" -qui s'organisent toujours. Le mouvement se dissoudra en 1969, mais il réussira à bloquer les tentatives d'acquisition par la Suisse d'armements nucléaires.

Parallèlement se développe et se répand, lentement, mais sûrement, l'objection de conscience, religieuse et politique. Il y eut 88 objecteurs en 1968, cinq fois plus six ans plus tard. Socialistes et pacifistes s'engagent pour l'introduction d'un service civil. La gauche révolutionnaire, elle, tente, comme en 1917-1918, de créer des comités de soldats.

Enfin, dès la fin de la Guerre Mondiale, le pacifisme sera confronté à un problème d'ampleur nouvelle, dont il ne s'était guère préoccupé auparavant : celui du colonialisme, de l'exploitation du "tiers-monde" et des luttes de libération -luttes armées, violentes, faisant usage de moyens homicides. Le dilemne sera alors : "Paix en Algérie" ou "FLN vaincra ?" ? "Paix en Indochine ? " ou "Indochine vaincra ?" "Paix en Algérie", les gouvernants socialistesle disaient aussi, en menant une guerre n'osant pas dire son nom.


Le "pacifisme soixante-huitard"

A l'acquis du mouvement (ou des mouvements) pacifiste(s) du XIXe et du XXe siècle va s'ajouter, dès le début des années septante, la conjonction entre la lutte contre les armes nucléaires et la lutte contre les centrales nucléaires (alors que le pacifisme des années cinquante et soixante est souvent, à l'instar d'un Joliot Curie, ou d'un André Chavanne, opposés aux unes et favorables aux autres), le tout sur fond d'un radicalisme politique qui fait renaître l'antimilitarisme. Pacifistes, antimilitaristes, socialistes, gauchistes vont mener ensemble les luttes contre les places d'armes, les exportations d'armes (49,7 % des suffrages pour leur interdiction en 1972).



Le nouveau pacifisme, émancipé de la guerre froide

Dans les années '80, le mouvement pacifiste s'émancipe du clivage est-ouest, OTAN-Pacte de Varsovie, il manifeste désormais, en particulier à Genève et à Berne, contre les USA et contre l'URSS, contre la politique des premiers en Amérique centrale et celle de la seconde en Afghanistan, contre les missiles Pershing américains et les missiles SS-20 soviétiques. En Suisse, l'enjeu s'est clarifié, par la création du Groupe pour une Suisse sans Armée: il est celui du maintien ou non de l'armée suisse, pour la suppression de laquelle un tiers des votantes et des votants (et la majorité des Genevoises et genevois, Jurassiennes et Jurassiens) se sont prononcés lors du vote de la première initiative du GSSA.


L'armée suisse : un vestige inutile


Personne ne sait plus à quoi peut bien servir l'armée suisse ? La droite s'en fout : la commission de politique de sécurité du Conseil des Etats demande cinq milliards pour de nouveaux avions de combat, 1.2 milliard pour des équipements divers et un milliard de plus de budget annuel. De son côté, le Conseil fédéral ne veut remettre en cause ni la défense nationale, ni l'obligation de servir, ni la neutralité. Et quand on demande aux uns et aux autres de nous dire à quoi diable pourra servir l'armée, les uns et les autres égrènent des tâches de police ou de douane : la lutte contre le "terrorisme", le contrôle des frontières, la sécurisation des rencontres internationales...
Notre glorieuse armée a déjà mobilisé hélicoptères et drones pour surveiller la frontière italo-tessinoise, supposée être bientôt atteinte par des hordes de réfugiés nord-africains, et Ueli Maurer n'a aucune objection à ce qu'on envoie carrément la troupe sur place.

Alors que le rapport 2010 des services fédéraux de renseignement considère que le "terrorisme" ne "constitue pas aujourd'hui un danger sérieux pour l'Etat", les partisans de l'armée, sous sa forme traditionnelle (version Ueli Maurer) ou sous une forme modernisée (version Pierre Maudet) évoquent précisément cette menace hypothétique pour justifier le maintien d'une armée suisse, même si les moins idiots d'entre eux savent pertinemment que l'instrument militaire n'est efficace que pour se venger du "terrorisme", jamais pour le prévenir (il aurait même une forte tendance à le susciter, le provoquer -voire le pratiquer).



la paix, ce n'est pas l'absence de guerre, le pacifisme, ce n'est pas seulement la volonté de paix


La paix, ce n'est pas l'absence de guerre : c'est un état, une situation, un mode de relations humaines et de gestion des conflits qui supposent le respect des droits humains -de tous les droits humains, partout. C'est donc un programme politique, exprimé presque exhaustivement par les grands textes internationaux sur les droits humains : les déclarations des droits de l'homme,. les pactes sur les droits sociaux, civils et politiques..Ces textes reprennent, consciemment ou non, l'essentiel des principes qui sont au coeur du projet socialiste -et du projet démocratique depuis qu'il a été résumé par les trois mots de la devise révolutionnaire française : liberté, égalité, fraternité. On pourra "moderniser" ces trois mots, mettre "liberté" au pluriel (Libertés), remplacer "égalité" par "justice" (ça fait moins peur).et épicéner "fraternité" (adelphité ?). Le pacifisme, désormais, c'est aussi la défense du droit d'asile, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, des droits des femmes, des droits des enfants, c'est l'antiracisme, le combat contre les centrales nucléaires, pour le droit à l'alimentation, le droit au logement...


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