1er août : Vive le Sonderbund !

Selon un sondage récent, près de 80% des personnes interrogées considèreraient la commémoration de la pseudo-date de naissance de la Suisse - le 1er août - « plutôt importante » voire « très importante ». Mais que célèbre-t-on aujourd'hui ? La signature, fort hypothétique à cette date, d'un pacte qui n'en était pas un ? La création, tout-à-fait mythologique, d'un Etat qui n'existera pas avant 1798, ou d'une Confédération qui attendra 1815 pour être fondée ? D'une démocratie qui ne naîtra qu'au XIXe siècle ? Non : ce qu'on célébrera, c'est un mythe fondateur. Il paraît qu'il en faut. Certes, celui-là ne nous dit rien, mais ce n'est pas une raison suffisante pour y mettre fin. Juste une raison suffisante pour n'y pas concourir et ne pas le célébrer, puisqu'il n'y a rien à célébrer...

« les imbéciles heureux qui sont nés quelque part » et les crétins malheureux qui tuent là où ils sont nés

Entre pétards et flon-flons, soupe et feu de joie, on va donc s'autocélébrer, ce soir. C'est à cela que sert une fête nationale -surtout celle-là, qui ne célèbre rien d'autre, aucun événement historique, que l'idée qu'on aime à cultiver de soi-même, de son pays et de ses institutions. On est dans le folklore et la méthode Coué, dans l'apologie et dans l'hagiographie, et puis quoi ? mieux valent les «imbéciles heureux qui sont nés quelque part» chantés par Brassent que leurs cousins malheureux qui tuent là où ils sont nés, tels qu'incarnés par le «grand blond poli et propre sur soi» (Le Temps du 25 juillet), le gendre idéal : Anders Behring Breivik, qui a expliqué qu'il voulait sauver la Norvège de «l'invasion musulmane». En massacrant des Norvégiens. Ce brave homme avait recensé en Suisse (qu'il considérait comme l'un des pays où le «lavage de cerveau multiculturel» était le plus achevé) 498 personnes « dangereuses », à éradiquer en leur inoculant de l'anthrax. Et il avait calculé que pour ces 498 « traîtres », 7,777 kilos d'anthrax serait suffisant. On est un petit pays, il est vrai. En le réduisant encore, réduirait-on les risques de le voir à son tour subir l'assaut de quelque Breivik local ? Au fond, il n'est peut-être de meilleure garantie que nos défenseurs de la Suisse (inexistante) de 1291 n'accouchent de crétins sanglants à la Breivik que celle qu'on se donnerait en les laissant s'ébrouer dans un parc ethnologique, un Ballenberg politique où ils pourraient à leur aise ériger autour d'eux les murailles dont ils rêvent contre les étrangers en général, les étrangers non-européens en particulier, les musulmans tout spécialement -et accessoirement contre nous. Une Suisse certes réduite à pas grand chose, mais une Suisse sans immigrants (ou alors, lorsque le besoin s'en fera sentir pour ramasser les betteraves ou torcher les grabataires, des saisonniers ou des clandestins), Une Suisse sans minarets, sans squatters, sans espaces de culture alternative, sans journalistes de gauche. Une Suisse où le droit de vote reviendra enfin à ceux qui n'auraient jamais dû être forcés de le partager : les pères de famille indigènes, chrétiens et propriétaires. Une Suisse qui sera sortie de l'ONU et du Conseil de l'Europe, aura révoqué sa signature au bas des grands textes internationaux proclamant et garantissant les droits humains, une Suisse qui se gardera à tout jamais d'entrer dans une quelconque Union Européenne, fût-elle de droite. Une Suisse dans laquelle nul ne pourra entrer sans visa. Et dans laquelle d'ailleurs nul n'aura envie de rester. Une Suisse de rêve, quoi. Mais d'un rêve de taxidermiste. Un nouveau Sonderbund, qu'on ne pourrait que saluer dans un sonore soupir de soulagement, en écho aux sections de Suisse centrale de l'UDC qui proclamèrent en mai dernier sur le Grütli leur intention de créer une nouvelle Confédération -la leur- s'il venait au peuple suisse la révélation qu'il vit bien au coeur de l'Europe, et l'idée saugrenue d'en tirer quelque conclusion politique logique. Offrons donc en ce 1er août ce soupir de soulagement, encore un peu prématuré, en accompagnement au discours que devrait prononcer Blocher aujourd'hui sur le Gotthard, pendant que sous ses pieds passent les immigrants et trépassent les illusions insulaires.

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